La petite histoire des mots
Catastrophe
Georges Pop | De l’aveu même de son gouvernement, en raison des récentes et violentes intempéries, l’Allemagne a vécu, la semaine dernière, sa pire catastrophe naturelle depuis la fin de la guerre. Le bilan des pluies diluviennes et des crues meurtrières est lourd, autant du point de vue humain que matériel. La Belgique, les Pays-Bas, ainsi que le Luxembourg, n’ont pas été épargnés. La Suisse elle, a tremblé. Le mot « catastrophe » définit les conséquences désastreuses d’un phénomène brutal et durable, qu’il soit d’origine naturelle ou humaine. En français, ce mot est apparu, sous cette forme, sans doute vers le milieu ou au début du XVIe siècle, dérivé du latin « catastropha » qui désignait, notamment, un rebondissement tragique dans l’action d’une pièce de théâtre. Le terme latin est lui-même issu du grec « katastrophê » qui associe le mots « katà », qui signifie « vers le bas », et « strophê » qui désigne un tournant, un retournement ou, en grec moderne, un virage. C’est d’ailleurs de ce terme que nous vient le mot « strophe » qui définit la partie d’un poème composée d’un nombre déterminé de vers. Au pied de la lettre, une « catastrophe » est donc un brutal virage vers le bas. Dans le théâtre grec, la catastrophe était d’ailleurs la dernière des cinq parties d’une tragédie ; le moment où le héros recevait des Dieux une punition funeste, appelée « catharsis », pour purifier son âme et le libérer de ses passions. Le mot « catharsis » désigne toujours, de nos jours, une forme de purification, mais aussi, en psychanalyse, une méthode, initiée par Sigmund Freud, fondée sur la remémoration affective et la libération de la parole, pour purger les patients de leurs pulsions destructrices. Si, actuellement, les catastrophes sont largement couvertes par les médias, elles alimentaient autrefois les mythes et font partie de notre mémoire collective. C’est le cas, par exemple, du Déluge de la Genèse. Le récit biblique, hérité d’un mythe sumérien, met en scène la destruction par les éléments déchaînés d’un univers corrompu et la fondation d’un monde nouveau, après une forme de « catharsis » de l’humanité. C’est encore, pour s’être éloignés des commandements divins, que sont châtiés par les Dieux les habitants de l’Atlantide, île mythique décrite par Platon au IVe siècle avant J.-C. ; un récit inspiré vraisemblablement par l’éruption catastrophique, plusieurs siècles plus tôt, du volcan de Santorin qui engloutit une partie de l’île et la civilisation prospère qui s’y trouvait. Dans une étude publiée en 1997, la sociologue américaine Holly G. Prigerson a mis en évidence un concept appelé « Traumatic grief » (Deuil traumatique). Elle constate que, chez les rescapés d’un désastre, ceux notamment qui sont frappés par un deuil, les catastrophes naturelles font l’objet d’une tolérance plus grande que celles qui sont liées à la négligence humaine. Selon elle, ces dernières font surgir des besoins d’explications, voire de vengeance, auxquels le monde politique se doit de répondre, au-delà de la simple reconstruction ou des indemnité financières. Le problème, désormais, réside dans le fait que de plus en plus de catastrophes « naturelles », liées aux désordres climatiques, sont la conséquence directe des activités humaines et aussi de la passivité, non seulement des gouvernants, mais aussi, souvent, de leurs administrés. Jusqu’à ce que le ciel leur tombe sur le tête…