La fille du cabinotier
“La fille du cabinotier” de Pierrette Frochaux aux Editions Plaisir de lire
Monique Misiego | Qu’est-ce qu’un cabinotier ? Un horloger tout simplement. On peut d’ores et déjà s’imaginer que ce roman se déroule dans le monde de l’horlogerie. Et que ce métier de cabinotier reste très précaire et tributaire de la conjoncture. Jeanne est une des filles du cabinotier. On est à la fin du XIXe siècle. A Genève. L’auteure dépeint la ville de façon réaliste, dans les lieux réputés, en bien ou en mal. On y rencontre des personnages historiques qui côtoient les personnages de ce roman.
Le contexte social est pauvre, une mère sans ressources, un père privé de travail car sa vue baisse. A cette époque-là, on peut très vite basculer car il n’y a pas ou très peu d’aides sous toutes leurs formes comme on les trouve maintenant. Quand on est issu d’un milieu modeste, tout est survie. Et quand on est issu des classes sociales défavorisées, il y a de très fortes chances qu’on y reste, et que nos enfants aussi à l’âge adulte. C’est ainsi, les riches entre eux, les pauvres restent pauvres.
Le catholicisme se frotte au calvinisme, c’est l’émergence des idées socialistes ou anarchistes, même le féminisme est déjà d’actualité, c’est dire que la lutte ne date pas d’hier. L’auteure s’appuie aussi sur des repères historiques comme la grève générale qui a suivi la première guerre mondiale, la grippe espagnole ou la crise boursière de 1929. Tous ces évènements auront un impact sur la population, surtout sur les plus modestes.
Vous l’aurez compris, on y parle surtout de misère, de grossesses non désirées, de la condition des femmes qui ne pouvaient pas dire ou faire grand-chose et de la condition des ouvriers. On comprend mieux toutes ces luttes sociales qui ont eu lieu depuis ce moment-là. Nous comprenons aussi que nos conditions de femmes, de travailleurs ont passablement évolué même si elles restent précaires. C’est un roman social avant tout, construit sur des personnages fictifs mais parfois aussi réels, sur des faits historiques, qui donnent à l’auteure l’occasion de parler des terribles dégâts que peuvent faire la misère et les dysfonctionnements familiaux qui vont souvent de pair. Et le manque de perspectives doublé du manque de confiance en soi qu’avaient les gens miséreux de l’époque ne fait rien pour arranger les choses. Dans ce contexte-là, quand on est pauvre, on le reste.
L’histoire maintenant. Jeanne est dès son enfance confrontée à ce monde de détresse sociale. Elle-même aura trois enfants, mais ses conditions de vie sont si désastreuses qu’elle devra se résoudre à les abandonner à son tour. Malgré de courtes éclaircies de bonheur, en dépit de quelques amitiés sincères et d’un peu de bienveillance, la misère, la maladie, l’impossibilité de sortir de sa condition la condamnent à une lutte sans fin pour une vie plus digne. Il y a Ernest, son père, autoritaire mais juste, qui a pu garder ses enfants sous son toit – du moins ceux qui ont survécu. Elle n’aura pas cette chance, ayant affaire toute sa vie à ces orphelinats qui prendront en charge les enfants qu’elle ne peut assumer.
On pourrait penser que c’est un roman très noir, mais il n’en est rien. Elle décrit simplement la vie de cette époque, ni plus ni moins, et même si la vie n’était pas facile, il y a tout de mêmes quelques moments de bonheur. Des bonheurs simples mais des bonheurs quand-même.
Pierrette Frochaux est née à la Fusterie, à Genève, en 1949. Elle est libraire de formation. En 1974, elle quitte sa ville natale pour se marier et s’installer à Lausanne. Elle renonce définitivement à la librairie en 1999, et devient documentaliste puis archiviste. Elle est aujourd’hui retraitée. Elle a publié « Nos chers protégés » aux Editions d’En Bas, en 2015.
Monique Misiego