La chronique de Denis Pittet
Moto

Je conduis une moto depuis l’âge de 18 ans. Autant dire que cela ne date pas d’hier. Et pour dire toute la vérité, cela fait plus longtemps encore. Pourquoi suis-je venu à la moto ? J’en sais à vrai dire rien. Ce que je sais, c’est que mes 14 ans arrivés – et à l’image d’une écrasante majorité des ados des années 70, j’ai eu mon boguet. Et que cette période boguet, cirés jaunes, sabots blancs, pulls University, patchoulis pour les filles, premières boums au local des cadets d’Epalinges reste une période d’un bonheur absolu et d’une incroyable liberté dont nous jouissions pleinement.
Le boguet c’était la liberté mais aussi des heures passées à les dépiauter, à changer les pignons, à limer les cylindres, à changer les gicleurs, j’en passe et des meilleures. Ces séances maquillages nous apprenaient la mécanique et peut-être ou sans doute nous conduisaient vers de plus gros boguets, allant plus vite, étant plus gros : la moto. Mais mon passage vers la moto, je le dois à mon cousin Christian, qui lui, au chemin des Roches avec son frère Pascal, excellaient dans la mécanique et créaient un nouvel engin après en avoir désossé trois anciens. Je me souviens aussi de « la piste du radar » au-dessus de Mandou à Bottens, où nous foncions à deux sur une Vespa sans doute déjà hors toutes les normes, sans casque évidemment (c’était légal à l’époque). J’avais 12 ans et Christian 15. Il y a aussi eu en 1975 les courses un brin inconscientes et dangereuses dans les bois du Jorat, de nuit, en Florett ou en BMW R25 de 250 centimètres cube, dont Jean-Paul se souvient particulièrement… Une souche d’arbre aussi.
Alors nous voici, toute cette bande de copains et de copines en 1977 chez Inter Motos pour aller chercher nos Honda XL 125, boillon orange. Ils ont dû en vendre des tonnes rien qu’à Lausanne. On a fait des dizaines de milliers de kilomètres avec ces motos, dont le Sud de la France, sept motos identiques à traverser les tous petits villages. Cela mettait l’ambiance. Camping, bitume glissant, scorpions dans les tentes. Y’a eu la Corse, la Turquie, toute la Suisse. A l’époque, nous roulions jour et nuit et été comme hiver. On rêvait des heures sur de plus grosses motos, totalement inaccessibles car les assurances étaient hors de prix. Je fantasmais sur la Honda FT 500 que je n’ai jamais eue. Après ma XL il y a eu la XLR, puis une Yamaha XJ 650, une Yam XJ 600, une Yam XJR 1300 et une Yam FJR 1300. Puis j’ai goûté aux grosses BMW, une K 1600 GT et aujourd’hui une R 1250 RT. (C’était la minute technique).
La moto cela se vit, moucherons sur les dents, mains gelées, complètement cuit à point en été, gravillons, glace, vent, odeurs, vitesse, peur et parfois accidents. La moto, c’est un million de souvenirs incroyables, dont ce trip sur la route 66 en Harley, Ray ban sur le nez et bandana sur la tête, se préparant à saluer d’autres Harley bien 10 kilomètres avant de les croiser sur un bout droit sans fin dans le désert du Mojave.
Je dédie ce texte à mon ami Raymond Perruchoud. Rassurez-vous il n’est pas mort. Il m’a dit samedi dernier qu’il avait pris la décision d’arrêter la moto avant de se tuer, car il roulait comme un malade. Mais ses yeux étaient tellement remplis d’émotion que l’émotion m’est venue aussi et avec elle les souvenirs ci-dessus. On peut faire de la moto comme passion, comme loisir, par nécessité, peu importe. Mais je sais que tous les motards ont tous au moins une chose en commun et que cette chose est multiple. Dire ou choisir laquelle nous anime est réellement impossible .