Hunger (Musical) Games
Octogone, Pully – Sophie Hunger / Ma Vie de Courgette
Grégoire de Rham | Tout ou presque a déjà été dit sur Ma Vie de Courgette, événement non négligeable dans l’histoire du cinéma suisse. Le long-métrage en stop-motion de Claude Barras, salué internationalement tant par la critique que par le public, s’était même retrouvé nommé pour l’Oscar du meilleur film d’animation, aux côtés, notamment, de deux mégaproductions des studios Disney (Vaiana et Zootopie).
L’histoire, pour celles et ceux qui ne la connaîtraient pas encore, est celle d’un petit garçon, Icare, dit Courgette, qui tue par mégarde sa mère alcoolique et maltraitante, et se retrouve placé dans un orphelinat auprès d’autres enfants aux histoires tout aussi tragiques. De fil en aiguille, avec une bonhommie enfantine, un subtil humour et une gravité certaine, le récit nous évoque tant de thématiques si difficiles à aborder avec des enfants. De la mort à la sexualité en passant par les abus et la solitude, Ma Vie de Courgette abat un travail éducatif aussi complexe que complet.
Parler d’un film dont la sortie en salle date d’il y a maintenant six ans peut paraître absurde. Ce le serait si ce film n’était pas également en partie l’œuvre de Sophie Hunger, musicienne et chanteuse bernoise, installée dans le canton de Vaud, qui en signe la bande sonore. Au sortir de la maternité, l’artiste nous offrait ce 13 novembre au Théâtre de l’Octogone le premier pas d’une tournée franco-suisse qui la verra interpréter devant une projection du film la musique qu’elle a composée pour celui-ci.
La création de bandes originales est toujours un défi non-négligeable et peut changer diamétralement l’appréciation du film par son public. Les représentants de cet art à part se distinguent souvent par un style bien tranché, qui s’adapte au mieux à un certain genre de fim. On peut évoquer les mélodies pesantes, parfois grinçantes d’Ennio Morricone, qui apportent aux westerns qu’elles illustrent une atmosphère bien particulière. Ou celles de Vladimir Cosma, plus légères et enjouées, qui collent parfaitement à la comédie à la française. Voire encore celles de Hans Zimmer, héroïques et tonitruantes, qui subliment les films d’aventures ou de superhéros.
Face à tant de styles bien tranchés, que vaut celui de Sophie Hunger ? Difficile de le décrire. Mélangeant élégamment les genres, sa musique navigue du pop au rock en passant par le folk sans demander toujours à l’un de laisser la place à l’autre. Confrontée à la difficulté de mettre en musique un film pour enfants, la Bernoise prend le pari de sortir des influences disneyennes. Pas de Libérée, délivrée ou tout autre refrain entêtant, mais plutôt le choix de parler de l’enfance à travers de musiques « d’adultes ». Des musiques qui, à l’image du film, parviennent à être légères sans être naïves. Profitant du concours de deux musiciens de talent (le polyinstrumentiste Alexis Anérilles et la violoncelliste Kristina Koropecki), elle réussit à proposer une composition exigeante, mêlant le dramatique et le comique, le léger et le douloureux, le synthétique et le mélodique. Une série de dualité limpidement représentée par la chanson finale, une réinterprétation toute personnelle et teintée d’accent suisse-allemand de Le Vent l’emportera de Noir Désir.
Reste à déterminer un élément on ne peut plus essentiel : celui de l’adéquation entre la musique et l’image. Une adéquation au rendez-vous et dont l’illustration la plus flagrante semble être le fait que les musiciens s’effacent derrière le film. Peut-être est-ce là justement la clef d’une bande originale réussie : une capacité à ne pas prendre le dessus sur l’œuvre cinématographique, mais à lui donner discrètement quelques impulsions supplémentaires qui accompagneront le public dans son visionnage. Un exercice d’équilibrisme auquel Sophie Hunger et ses musiciens se plient avec audace et légèreté et qui se prolongera sur plusieurs dates en France et en Suisse durant les mois à venir.