Exposition – Les Giacometti, une famille d’artistes
Ils ont formé une véritable « tribu » solidaire et ont tous joué, à des degrés divers, un rôle dans l’histoire de l’art suisse et européen. Ils sont originaires du village de Stampa, situé dans le val Bergaglia, dans les Grisons italophones.

Un lieu assez austère, où le soleil ne brille pas pendant plusieurs mois d’hiver. C’est pourquoi Giovanni Giacometti (1868-1933), le patriarche, finira par s’installer au col de la Maloja. La visite de la maison et de l’atelier de Stampa, qui contient plusieurs œuvres des Giacometti, reste assez émouvante. Lors de ses études d’art à Munich, Giovanni fit la connaissance d’un autre grand peintre suisse, le Bernois Cuno Amiet (1868-1961), avec lequel il resta lié par une profonde amitié. Il subit l’influence du peintre italien Giovanni Segantini (1858-1899), qui vivait aux Grisons. Celui-ci était un adepte du mouvement divisionniste, qui prônait la juxtaposition de touches de couleurs pures. En cela il était assez proche du pointillisme de Seurat et Signac. Voir le beau musée consacré à Segantini à Sankt-Moritz ! Les toiles de Giovanni sont surtout consacrées aux vastes paysages des Grisons. Mais on trouve aussi chez lui une peinture plus intimiste, souvent touchante, où il représente sa vie familiale heureuse et ses enfants.
De son épouse bien-aimée Annetta, il eut trois fils, Alberto, Diego et Bruno, et une fille, Ottilia. Cette dernière (1904-1937) connut une vie trop brève. Elle mourut quelques jours après avoir mis au monde un fils, un destin que connurent encore trop de femmes à cette époque. Ce qui ne lui laissa pas le temps de mettre en valeur ses qualités d’artiste textile et de se faire vraiment connaître.
Quant à Bruno (1907-2012), il fit une belle carrière d’architecte. Il conçut de nombreux bâtiments publics, surtout à Zurich et dans les Grisons. On lui doit notamment l’Hôtel de Ville et l’hôpital de Uster (ZH). Il associait le béton, la pierre et des éléments colorés.
Diego (1902-1985) a été trop longtemps relégué à son rôle de « petit frère », de modèle et d’aide d’Alberto à Paris. Mais il fut lui-même un artiste intéressant, réalisant des luminaires et des mobiles aux formes très épurées. Il occupe donc une place importante dans l’histoire des arts décoratifs.
Une mention pour Augusto Giacometti (1877-1947), peintre lui aussi et cousin de Giovanni Giacometti. Mais les deux hommes ne s’aimaient pas ! Augusto fut à la fois influencé par le Quattrocento florentin et par l’Art nouveau. Mais il évolua vers une synthétisation des formes et vers l’abstraction, à la manière de Piet Mondrian et de Sophie Taeuber-Arp. En cela, on peut dire qu’il fut le plus moderne dans la constellation familiale. Ce qui caractérise surtout son œuvre, notamment ses vitraux, c’est leur éclatante polychromie. Sur sa tombe figure d’ailleurs l’inscription : « Qui riposa il maestro dei colori ». Il y a quelques années, le Musée d’art de Berne l’a remis en valeur par une magnifique exposition.
Le plus célèbre des Giacometti est bien sûr Alberto (1901-1966), considéré comme l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Sa carrière s’est déroulée essentiellement à Paris. Mais il retournait chaque année dans son village de Stampa, surtout pour revoir sa mère Annetta, à laquelle il était profondément attaché. Alberto passa d’abord par le surréalisme, mais il le quitta, car ce mouvement, sous la férule du poète André Breton, condamnait totalement l’art figuratif, auquel Giacometti restera fidèle, mais sous une forme renouvelée. Il commença par modeler de très petites figurines, aux corps effilés et longilignes, qui allaient devenir la caractéristique de sa sculpture. Peut-être faut-il voir là une allusion au retour en 1945 de prisonniers décharnés survivants des camps de la mort nazis. Puis ses bronzes devinrent de plus en plus grands, mais toujours aussi filiformes. Ils représentent le plus souvent des personnages debout, mais vus de profil, et marchant avec les deux pieds à plat sur le sol, à la manière des fresques égyptiennes. Politiquement, Giacometti fut un « compagnon de route » du Parti communiste français et un ami de Louis Aragon. Mais il était revendiqué aussi par Jean-Paul Sartre, qui voyait en lui le sculpteur de l’existentialisme. Il était proche de l’écrivain Samuel Becket, l’auteur de la pièce En attendant Godot. Leurs œuvres, tant littéraire que plastique, illustrent en effet la solitude humaine. Alberto est surtout célèbre dans le monde entier comme sculpteur. Mais il ne faut pas négliger son prodigieux talent de dessinateur au trait nerveux.
Le Musée des Beaux-Arts de Lausanne/MCBA vient d’être enrichi par un legs de dix-sept sculptures de Giacometti, présentées dans la collection permanente, qui est libre d’accès. Une chance à saisir !