Exposition – Le MCBA consacre deux expositions à Alice Pauli
Hommage à une grande galeriste, collectionneuse et mécène

Alice Pauli (1922-2022) est née Bucher à Moutier. Sa formation commerciale dans le domaine de l’horlogerie lui sera utile pour la gestion de sa galerie. Car une telle entreprise implique aussi des risques financiers. Il faut suivre le marché de l’art, dénicher des talents, et puis vendre. Mais l’essentiel pour nous n’est pas là. Alice Pauli a joué un rôle considérable dans la vie culturelle romande, en faisant connaître l’art contemporain pour lequel elle éprouvait une véritable passion, s’ajoutant à un goût très sûr. Elle fonde sa galerie en 1961, et la gère d’abord avec son mari Pierre, puis avec son fils Olivier, tous deux hélas disparus prématurément. Ensuite elle l’assumera seule jusqu’à sa mort. Parallèlement, elle a constitué une collection personnelle. Avec une immense générosité, à son décès elle lèguera tous ses biens à l’Etat de Vaud, en faveur du Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA), et du Cabinet cantonal des estampes, au Musée Jenisch à Vevey. Mais il est temps de visiter les deux expositions !
Dans la première salle, on admirera des tapisseries géantes de Jean Lurçat (1892-1966), qui fut le réinventeur au 20e siècle de cet art séculaire. Proche du Parti communiste et de la Résistance, il a nargué l’occupant allemand en s’inspirant de poèmes de Paul Eluard et de Louis Aragon. Ses tapisseries, qu’Alice Pauli a promues dès 1954, connaissent alors un immense succès. De nombreuses institutions publiques et sociétés privées en achètent pour orner leurs bâtiments. Elles se situent entre abstraction et figuration et éclatent de couleurs.
Dès 1963, Alice Pauli et son mari partent à la découverte des artistes au-delà du Rideau de fer. Malgré le poids du régime communiste, l’art de la tapisserie y connaît un grand développement, particulièrement en Pologne et en Yougoslavie. L’exposition présente notamment les grands travaux de Magdalena Abakanowicz (1930-2017). Ses œuvres, destinées à être suspendues au plafond, utilisent la laine, mais aussi le sisal et autres matériaux, en privilégiant non pas le thème, le motif, mais la texture. Signalons qu’Alice et Pierre Pauli ont été actifs dans la mise sur pied des éditions successives de la Biennale internationale de la tapisserie, dans les années soixante, qui au Palais de Rumine connurent un vif succès auprès du public. On découvrira aussi avec plaisir l’œuvre grinçante, ironique et ludique de l’Italien Enrico Baj (1924-2003), avec ses « Portraits » caricaturaux de personnages historiques, alliant peinture, collages, divers métaux, liège… Une salle est consacrée à la sculptrice Alicia Penalba (1913-1982), d’origine argentine. Elle travaillait le fer dans des œuvres vigoureuses, dont l’une figure d’ailleurs dans le « jardin de sculptures » de la Fondation Gianadda à Martigny.
Au deuxième étage, la grande salle montre des travaux XXL, dont ceux d’Abakanowicz et de l’Italien Giuseppe Penone (né en 1947). C’est Alice Pauli qui a offert au MCBA, à l’occasion de son ouverture, l’arbre monumental au faîte doré à la feuille 24 carats, intitulé Luce e Ombra, qui saisit le visiteur dès son entrée dans le hall du musée. Pierre Soulages (1919-2022), lui, est devenu célèbre par ses œuvres austères qui n’utilisent que la couleur noire, toutes de nuances cependant, avec leur zébrures.
La galeriste a non seulement promu des artistes internationaux, mais aussi soutenu des créateurs résidant dans notre canton. Par exemple Juan Martinez (né en 1942), dont les peintures hyper-réalistes ont été marquées par la guerre civile espagnole et la nuit noire du franquisme. Mentionnons aussi le Grand Crâne de Jim Dine (né en 1935). L’exposition fait une place au Pop Art. L’œuvre de la plasticienne Emilie Farny (1938-2014) présente des images déshumanisées illustrant un certain « bonheur suisse » petit-bourgeois.
Après avoir dû traverser les salles de la collection permanente consacrées à l’art contemporain, on accède à l’Espace Focus. Celui-ci accueille une deuxième exposition, présentant un choix d’estampes léguées, on l’a dit, au Musée Jenisch. C’est l’occasion d’admirer des travaux de l’artiste suisse Max Bill (1908-1994), qui fréquenta dans l’entre-deux-guerres le Bauhaus à Weimar, et qui voulait un art tout de rigueur géométrique. Quant à Victor Vasarely (1906-1997), il est bien connu du grand public pour ses toiles qui ont inspiré d’innombrables posters. L’Américain Sam Francis (1923-1994) pratiquait, lui, une sorte de « tachisme ». On a aimé aussi les travaux du Croate Miroslav Šutej (1936-2005), qui multiplie des formes très inventives et colorées, donnant l’impression de la tridimensionnalité.
En bref, visiter ces deux expositions, c’est à la fois rendre hommage à une « grande dame » de la culture, et aller à la découverte de nombreux artistes contemporains. Aux visiteurs et visiteuses de faire ensuite leurs choix personnels…
« Alice Pauli. Galeriste, collectionneuse et mécène »
MCBA, Lausanne, jusqu’au 4 mai 2025.
« Alice Pauli et l’estampe », MCBA, jusqu’au 31 août 2025