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Retour vers Hollywood, par la Compagnie Broadway au Théâtre Barnabé
Il y a dans le théâtre d’aujourd’hui un gouffre générationnel conséquent. Les enfants ont leurs pièces pour enfants, les jeunes adultes leurs pièces pour jeunes adultes, le troisième âge ses pièces pour troisième âge. Rares sont encore les représentations qui voient se bousculer aux portillons autant de têtes blondes que de cheveux gris. Pourtant, voilà quelques temps que sévit au café-théâtre Barnabé une production au caractère étrangement rassembleur. Un spectacle qui, conscient de cette fracture générationnelle théâtrale, décide d’aller puiser dans un septième art parfois moins sujet à ces écarts.
Ce spectacle, Retour vers Hollywood, n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il est une reprise de la pièce à succès Hollywood, proposée en 2021 dans le même théâtre et agrémentée depuis de quelques scènes supplémentaires. La prestation proposée par la Compagnie Broadway, résidente du café-théâtre et dirigée par Noam Perakis, est un joyeux medley qui fait probablement se retourner dans sa tombe Freddy Buache, ancien directeur de la Cinémathèque suisse et détestateur avéré du cinéma populaire américain. Car toute l’essence de Retour vers
Hollywood se trouve dans cette brochette de films cultes qui ont bercé l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte de nombre d’entre nous, et qui éveillent encore en nous, à chaque visionnage, quelques réflexes proustiens.
L’amateur de cinéma en a pour son argent durant ces plus de deux heures de spectacle, tant sont concentrés en un même lieu et dans un même temps nombre de références qui flattent celui qui les reconnaît. On passe sans discontinuer de Psychose à Indiana Jones, de Pirates des Caraïbes à Il était une fois dans l’Ouest et du Seigneur des Anneaux à The Greatest Showman. Une succession de tableau hyperrythmée, parfois désarçonnante, qui résulte sur des rencontres étonnantes. On assiste ainsi à une danse de séduction de Jessica Rabbit sur Roger Rabbit du film Rain Man ou au porté de Dirty Dancing exécuté par Chewbacca et la Princesse Leïa. Mais toutes les références ne sont pas aussi évidentes, et c’est là que le spectacle se transforme en un jeu de tous les instants pour capter toutes les micro-allusions à une ribambelle de films, que ce soit par une réplique culte, l’apparition d’un personnage en arrière-plan ou une allusion plus directe.
Mais le cinéma populaire américain paraîtrait bien pâle sans l’énorme machinerie qui le constitue. Et c’est là que la Compagnie Broadway a mis les moyens de ses ambitions sur le tapis. Pour donner du corps, de l’esthétisme et de l’immersion à l’œuvre, tous les moyens sont utilisés: machines à fumée, plateau tournant, décors gigantesques, entrée en trombe sur scène de la DeLorean de Retour vers le Futur, puis d’un immense dinosaure pour illustrer une scène de Jurassic Park. Sans oublier les projections cinématographiques quasi-permanentes sur le fond de la scène.
Ne limitons toutefois pas le succès populaire manifeste de ce spectacle à ses seuls éléments techniques. Car il suffit d’observer la longueur du générique de fin pour voir qu’il y a aussi dans l’aspect «ressources humaines» quelque chose d’hollywoodien. Chorégraphes, concepteur-trice-s de décors, librettistes, habilleuses, régisseuse, garagiste, responsables son… Sans oublier l’excellent Vincent Kessi’s Free Fellowship Band, qui illustre musicalement le spectacle, passant sans sourciller d’un registre à l’autre, interprétant au passage les plus grandes partitions de l’histoire du cinéma américain.
Et bien entendu, la Compagnie Broadway au grand complet. Une brochette d’artistes qui enchaîne avec une aisance déconcertante parties chantées, parties dansées, parties jouées, mêlant souvent les trois. Il convient toutefois de soulever que le travail de comédien est ici bien différent que traditionnellement. Nulle présence ici de performance d’acteur moliérisable, mais un besoin impératif que chacun puisse s’insérer dans la démarche collective. Chacun-e des quatorze comédiens et comédiennes interprète ainsi un nombre inquantifiable de rôles. Difficile dans ces conditions de laisser au personnage le temps de se développer. Chaque pas, chaque mot, chaque haussement de sourcil semble calculé pour apparaître au moment M. Il y a, dans Hollywood quelque chose de la mécanique de précision, la bonne marche de la machine reposant sur l’ensemble de ses rouages.
Tous ces éléments détonnants nous interrogent tout de même: est-ce encore bien du théâtre à quoi nous avons affaire? La question semble légitime. En effet, l’utilisation accrue de moyens techniques faramineux, particulièrement de la vidéo, l’acteur replacé comme simple élément d’une immense production et la précision quasi-horlogère de la mise en scène, peut interpeller. Nous nous garderons bien d’émettre une réponse tranchée. Mais quelle qu’elle eût pu être, nous noterons que cette proposition nouvelle, qu’elle soit qualifiée de revue, de théâtre, de cinéma théâtral ou de quoi que ce soit d’autre, a, au vu de l’éclectisme du public présent, le mérite de faire dialoguer les générations et de proposer, ce n’est pas un vain mot, un divertissement de qualité. En témoigne le nombre de dates déjà quasiment complètes à venir ces prochains mois. Alors si vous voulez vous joindre à la fête, ne tardez pas…
Interview Noam Perakis
Metteur en scène, comédien et directeur du café-théâtre Barnabé

Cette comédie était déjà au programme de la saison passée, pourquoi revenir avec ce medley aujourd’hui ?
Beaucoup de spectateurs n’ont pas eu l’occasion de venir ce printemps. Les dernières semaines affichaient complet et nous n’avons pas eu d’autre choix que de refuser beaucoup de public. C’est pour ce public que nous avons remonté ce spectacle.
Un copier-coller de la saison dernière ?
Nous ne sommes pas restés les mains dans les poches. Environ un tiers du spectacle a été réécrit. Trois nouveaux tableaux viennent compléter la comédie avec le monde des superhéros de Marvel et DC Comics. Une ambiance aventure comme celle d’Indiana Jones, de Ramar Wars et de 2001, l’Odyssée de l’espace.
Pourquoi avoir ajouté ce style de films en particulier ?
Quand nous questionnions le public l’année dernière, nombreux sont ceux qui regrettaient de ne pas avoir vu le personnage d’Indiana Jones. C’est impressionnant de voir à quel point les films d’action des années 80-90 plaisent à toutes les générations. A l’image de ces derniers, notre spectacle fait la part belle à l’autodérision.
La première a eu lieu le 18 novembre, jusqu’à quand ?
Nous sommes en train d’ajouter un grand nombre de dates, je pense que ce
spectacle sera joué jusqu’au début du mois de mars.
Quel est le budget pour ce nouveau « Hollywood » ?
Ce type de spectacles est très coûteux. Tous métiers confondus, ce sont un peu plus de cinquante personnes qui sont nécessaires pour faire vivre ce medley. Pour l’heure, il est trop tôt pour articuler un prix, mais la facture de la première version s’élève environ à 700’000 francs. Il faut garder en mémoire que plus nous rajoutons des dates, plus les coûts sont élevés.
Ce medley fait la part belle au cinéma américain, à quand les Bronzés font du ski à Servion ?
(Rire) Nous avons quelques allusions au cinéma français dans ce spectacle, mais nous restons pour l’heure spécialisés dans les comédies anglo-saxonnes. Nous cogitons sur de nouvelles thématiques pour l’année prochaine, mais je doute que nous réalisions une comédie dédiée entièrement au film Les Bronzés font du ski, quoi que cela pourrait être amusant.
Propos recueillis par Thomas Cramatte