Du bonheur de donner
Pierre Dominique Scheder | De retour de l’école, un après-midi de l’Avent 2020, ma fille Lydie - 14 ans - me demande gentiment : « Papa tu me prépares un chocolat chaud ? » « Mais bien volontiers, ma fille ! » Et me voilà aussitôt, toute affaire cessante, en train de verser du lait dans une petite casserole. Ce geste me rappelle la laiterie de mon enfance, quand la laitière remplissait nos bidons cabossés d’un lait blanc et crémeux, que les paysans venaient d’amener dans leurs boilles. J’allume le gaz, craquant une allumette. La flamme jaillit tel un feu de bengale du 1er août. Ah zut ! Le téléphone ! Gare, il ne faut pas que le lait « monte » ! Frayeurs des déjeuners express du temps de ma scolarité, quand toute la tribu Scheder tremblait de louper le car postal conduit par papa chauffeur, les emmenant au collège d’Yverdon. Je réponds tout de même vite à la sonnerie. C’est un démarcheur d’assurances : « Non merci ! » Et je retourne à ma sainte besogne. La poudre de chocolat tombe dans la tasse en avalanche. Je remue le tout. Des vaguelettes se forment comme quand on lance des cailloux dans une mare. Bref ! Toutes sortes d’enivrantes sensations remontent en moi, comme autant de bulles de bonheur. J’ai connu bien des nirvâna, des soupers de rois et même les baisers d’Elga. Mais s’entendre dire « Merci papa ! » pour cette simple petite BA, oui, là est la vraie joie! Et, si l’on est bien disposé, de tels chouettes instants fleurissent sur nos chemins de vie. Nous avons mille occasions de rendre service en toute gratuité. J’ai eu la chance de l’expérimenter dans mes années passées au GRAAP. Je me souviens même d’y avoir découvert la joie de couper le pain pour toute la tablée. Et que dire de tous les métiers de services et de la santé, qui s’exercent trop souvent dans le stress et la contrainte ? Il s’agit donc de créer des conditions de travail plus libres et plus humaines, de mettre en place des structures où la solidarité puisse agréablement et concrètement se vivre. Inviter, proposer plutôt que commander. Il suffit de peu pour que le boulot se fasse fête, comme lors des cassées de noix, des vendanges ou des moissons, bien enracinées dans une région et vécues dans un esprit communautaire. Alors on pourrait, comme dans une chanson de Jacques Dalcroze, siffler ou chanter en travaillant. En effet, au cœur de l’humain sont d’abord le sourire et le don, bien avant le profit, la guerre et l’exploitation ! Alors, oui quel bonheur de donner !