« Le convoi de sel et de sucre » – De Nampula au Malawi, le train de tous les dangers
«Le Convoi de Sel et de Sucre» du réalisateur Licinio Azevedo.
Colette Ramsauer | «J’étais à Lichinga, la capitale de la province du Niassa, où le dernier train venu de Nampula (Mozambique) s’arrête avant la frontière du Malawi, sa destination finale. J’ai assisté à l’une d’entre elles et constaté l’état terrible des passagers qui débarquaient des semaines après le début de ce voyage qu’ils faisaient au péril de leur vie.» Après l’écriture de «Comboio de Sal e Açugar» l’écrivain et cinéaste brésilien Licinio Azevedo porte son roman à l’écran. A la question de savoir pourquoi il n’en a pas fait un documentaire au moment des faits, il répond que les producteurs, pour des raisons de sécurité, l’avaient vivement découragé à le faire.
La peur au ventre
En 1989, ravagé par douze années de guerre civile, le Mozambique manque de sucre, denrée qui pourtant faisait de lui un important producteur. Pour sortir de leur misère, nourrir leur famille, des indigènes, des femmes pour la plupart font le voyage aller-retour de Nampula à Malawi afin de troquer le sel marin contre du sucre. La peur au ventre, elles prennent le risque de ce voyage de 700km, freiné par les attaques des rebelles. Le convoi est sans cesse stoppé par le sabotage des rails qu’il faut reconstruire en urgence. Et lorsque l’eau vient à manquer, on devine le chaos. Ce n’est pas tout. Le comportement du sous-lieutenant Salomao (Tiago Justino), une bête de guerre, censé protéger les passagers est plutôt une menace, notamment pour les femmes. Sur ces faits, le film tient le spectateur en haleine de bout en bout.
Il rêvait de garder des bœufs
Dans les moments d’extrême insécurité, chacun selon ses croyances s’en remet à son dieu, Allah, Jésus, à quelque sorcier local ou esprit d’animiste. Le commandant Taiar (Matamba Joaquim), chargé de l’escorte militaire et la jeune infirmière Rosa (Melanie de Vales) qui se rend à Malawi pour travailler, quant à eux s’en remettent à des dialogues et questionnements sur cette guerre sans fin et sur leur propre destin qu’il décident de partager. Taiar rêvait de devenir agronome, de garder des boeufs. Mais on ne peut refuser de devenir soldat dans un pays en guerre. Malheureusement, il perdra la vie et Rosa se retrouvera seule en fin de parcours, avec dans les bras un enfant né d’une mère morte en couches durant le trajet.
Il était une fois en Afrique
Le film a été tourné ailleurs dans le pays, dans des paysages magnifiques ressemblant aux décors des films de John Ford que le réalisateur a spécialement jaunis en post production. Les amoureux de western ne seront pas déçus. Même scénario: le bon (Taiar) et le méchant (Salomao), les rebelles ont remplacé les indiens, dans l’atmosphère du péril des trains diligences du 19e siècle aux USA. Le périple du «Train de Sel et de Sucre» se déroulait lui en fin de 20e siècle! On peine à y croire.
Perpétuels conflits
En 1964, au Mozambique encore colonie portugaise, le FREMILO – front de libération du Mozambique – entament une guerre d’autodétermination. Le nouveau gouvernement parvient à instaurer dix ans plus tard un Etat à parti unique basé sur des principes marxistes. S’ensuit une guerre, soutenue par les pays voisins, Rhodésie et Afrique du Sud, à minorités blanches, qui craignent que cette révolution atteignent leurs régions. La guerre entre le FREMILO et le RENAMO (Résistance nationale mozambi-caine) mène le pays à la ruine. Ce n’est qu’au début des années 90 que des réformes structurelles lui font connaître un temps de paix. Depuis 2016, le Mozambique est à nouveau dévasté par la violence, de nombreux conflits armés ayant éclatés dans le centre et le nord du pays. On comprend mieux pourquoi le pays compte parmi les plus pauvres au monde et pourquoi de jeunes mozambicains pacifiques fuient vers l’Europe.
«Le Convoi de Sel et de Sucre» Fiction de Licínio Azevedo, Mozambique, 2016, 93’, VOST, 16/16 ans avec Matamba Joaquim, Melanie Rafael, Tiago Justino, António Nipita, Sabina Fonseca
Au cinéma d’Oron dès le 21 juin à 20h – Consultez le programme pour les prochaines séances