Cinéma – Quand l’ordinaire est révolutionnaire
« Les nouvelles Èves »

Charlyne Genoux | C’est l’histoire de six héroïnes du quotidien, des destins pris en charge par les caméras de six réalisatrices suisses aux quatre coins du pays. Le film sort en salle ce mois-ci, mais Ciné-doc propose une séance spéciale à Chexbres le 14 décembre, en présence de Florence Godoy du réseau professionnel de femmes homosexuelles de Suisse romande et de Camille Mottier, rédactrice en cheffe du webzine DécadréE et médiatrice culturelle.
Des femmes comme nous toutes
« Les nouvelles Èves », ou l’histoire d’une multitude de rencontres. Il y évidemment celle que le film propose à son public, en lui présentant ces femmes du quotidien que l’on oublie trop souvent de voir comme les héroïnes qu’elles sont. En amont du visionnement, une autre rencontre détermine « Les nouvelles Èves » : celle vécue par les femmes ayant collaboré pour réaliser ce long-métrage. L’initiative est d’abord celle de Judith Lichtneckert et Liliane Ott, deux productrices ayant décidé de réunir six réalisatrices en amont de la grève du 14 juin 2019. Le projet est simple: chacune d’entre-elles suivra une protagoniste qu’elle choisira librement. Ces regards singuliers sur ces femmes de l’ordinaire seront ensuite mis bout à bout pour un discours global et un propos efficace. Filmer et regarder, tout simplement, sans interview ni commentaire.
Voir l’invisible
Il s’agit ainsi de rendre visible l’invisible et le banalisé, car donner à voir est éminemment politique. Au lendemain des grèves des femmes, qui poussent chacune d’entre nous à occuper l’espace publique par nos corps et nos voix, un espace qui ne nous appartient majoritairement pas ou dans lequel nous sommes en permanence menacées, «Les nouvelles Èves» fonctionnent comme un relais. Le film prolonge en effet l’initiative des marches en formant l’occupation d’un autre espace, celui du cinéma, par ces mêmes voix que l’on entendait dans les rues le 14 juin. Occuper l’espace, par les voix de toutes ces femmes dont on coupe trop souvent la parole.
Une vision féminine
Tourné en plein Covid, le film semble avoir été une suite de challenges maîtrisés et de défis relevés. Chaque réalisatrice ayant suivi une protagoniste, le pari des « Nouvelles Èves » était de réunir toutes ces femmes dans un même film sans laisser la « couture » apparente. Au montage, il s’agissait ainsi finalement de lier ces femmes et d’en faire un film représentant la condition féminine suisse à l’aube des années 2020. Durant cette phase de la réalisation, les cinéastes constatent que « le groupe de femmes choisies (leur) offre(ent) irrémédiablement une vision féminine du monde, où chacune détient des valeurs très concrètes et peu reconnues dans notre société: la bienveillance, l’écoute, l’intuition et la relation aux autres » (Phrase tirée de l’interview du dossier de presse du film). Des forces tranquilles, ou tranquillisées par une société qui tend à les oublier : c’est exactement ceci que le film tente de revaloriser, d’intégrer à la société en replaçant ces brillantes personnes sur le devant de la scène.
Aux quatre coins de la Suisse
A Lugano, Bâle, Lausanne, Zurich, Genève ou Bolligen, tous ces lieux au sein desquels les trépieds sont allés se poser, on ne peut finalement que se réjouir d’un projet créant une sororité au-delà de la rösti graben, cette muraille de Suisse qui cloisonne chacun·e chez soi. Et si la révolution féministe, en décloisonnant les genres, parvenait à faire de même pour les régions ? De jolis horizons pour nous tous·tes.
« Les Nouvelles Èves » de Camille Budin, Annie Gisler, Jela Hasler, Thais Odermatt, Wendy Pillonel et Anna Thommen, 2021. Suisse, 83’. Au cinéma de la grande salle de Chexbres le 14 décembre à 20h30, en présence de Florence Godoy, Lwork - réseau professionnel de femmes homosexuelles Suisse romande et Camille Mottier, rédactrice en cheffe du webzine de DécadréE et médiatrice culturelle.

Tout autour de la caméra
Au centre, une caméra. Devant cette dernière, il y a les protagonistes: Cosima Scheck, Delphine Rozmuski, Naima Cuica, Sela Bieri, Sophie Swaton et Valeria Kepner. Derrière l’appareil, c’est Camille Budin, Annie Gisler, Jela Hasler, Thais Odermatt, Wendy Pillonel et Anna Thommen, les réalisatrices contactées par les productrices Judith Lichtneckert et Liliane Ott. Une femme tient la caméra: Gabriela Betschart. L’oreille qui gère la prise de son appartient à Salome Wüllner et la grande monteuse de tout ce matériau brut s’appelle Anja Bombelli. Il n’est pas dans notre habitude de restituer les crédits des films que nous évoquons dans nos colonnes, mais cette semaine plus que jamais, il semble important de rendre aux femmes ce qui appartient aux femmes, pour tous les génériques desquels leurs noms disparaissent comme par mépris, toutes ces fois où l’on s’attribue leurs crédits. C.G.


