Cinéma – Quand la peinture hurle
Le dernier film de Dominique Othenin-Girard, réalisateur suisse ayant mis en scène le long-métrage Colombine à l’issue de la dernière fête des vignerons dresse le portrait du peintre Joe Boehler. Par un patchwork parfois étrange et partant dans tous les sens, il relaie la pratique de son protagoniste aux facettes multiples.
Du goudron à la liberté de la cuillère
Une nouvelle exposition du travail de Joe Boehler donne au film une raison d’être selon la femme de ce dernier, Fanny Audemars, qui en est aussi la curatrice et qui a apporté son soutien au film. Assez présente à l’image, son esprit d’initiative traverse le film et illustre son dévouement pour son compagnon de vie. Cette dynamique donne le sentiment que Joe Boehler ne s’inscrit pas forcément dans un milieu artistique plus large. Le film relaie dès lors de très près le rapport à l’art d’un homme unique et isolé, en utilisant des codes assez similaires. Le film de Dominique Othenin-Girard ne ressemble en effet pas à beaucoup de documentaires suisses actuels par sa durée comme par diverses aspects techniques: la musique accompagnant le montage de l’exposition ressemble à celle présente dans un film amateur. Des plans d’interview laissent entrevoir en arrière-plan un trépied caméra que l’on a oublié de déplacer. Le montage est très rapide et ne laisse par instants pas le temps de contempler le sujet, et la narration saute du coq à l’âne pour ne garder que des moments de prises de paroles graves et profondes, qui pourraient nourrir un recueil de citations, mais qui semblent parfois un peu plus proche du lieu commun que d’une fine observation.
Le rythme du pinceau
Néanmoins, les peintures de Joe Boehler sont si puissantes que le film propose de très beaux moments dans lesquels ses œuvres sont mises en lien avec les autres modes de communication de l’artiste. Joe Boehler multiplie en effet ses moyens d’expression : ancien soldat, boxeur, chanteur, boulanger trois fois meilleur ouvrier de France ; chacune de ses activités semblent nourrir sa pratique. Dominique Othenin-Girard met ainsi en lien ces occupations annexes à la peinture, en juxtaposant le travail boulanger et la création d’une toile pour laquelle l’artiste n’hésite pas à malaxer de la matière par exemple. Lors du vernissage de l’exposition, le montage place côte à côte des toiles et des éléments de l’environnement du peintre. Le joli titre du film, cri de l’âme, qui évoque la violence des œuvres de Boehler trouve aussi son pendant dans sa pratique du chant. Lorsque la voix du protagoniste se superpose à la peinture en voie de création, le film atteint une sorte d’apogée. Les mouvements de caméra s’adaptent ainsi par instants au rythme de la musique, car l’œuvre de Boehler est empreinte de beaucoup de rythme, comme il le dit lui-même en parlant d’un autoportrait : « la vitesse est bonne ». Il performe en effet une « action-vitesse » pour s’empêcher de penser : comme dans un cri, ses œuvres sont affaires de spontanéité, et le film qui relaie ces idées en a conservé le procédé.
Les yeux du public
Il y a ainsi de très beaux moments dans Cri de l’âme, et il s’agit souvent d’instants dans lesquels une place suffisante est laissée aux œuvres intenses de Boehler, des instants où l’on voit faire plutôt que les choses soient décrites. Les méta-discours sur la pratique, émis tant par Joe que par Fanny, empêchent en effet parfois d’aller véritablement à la rencontre de l’artiste. Le film se clôt sur le vernissage de l’exposition, dans lequel le monde extérieur semble enfin entrer dans le huis-clos du couple. Entourés d’amis et de connaissances, les grands yeux effrayants et fascinants des toiles de Boehler semblent trouver l’écho dont ils ont jusqu’alors été privés, dans les yeux d’un public à raison fasciné.
« Cri de l’âme » Documentaire de Dominique Othenin-Girard
Suisse, 2022, 63’, VF. A voir au cinéma d’Oron
Premiere en présence du realisateur, vendredi 10 novembre, 20h
En marge du documentaire, une exposition consacrée à Joe Boehler est aussi
à découvrir du 4 novembre au 16 décembre à la galerie ABPi à Lausanne.