Cinéma – Partir un jour d’Amélie Bonnin
Après un César en 2023, le court « Partir un jour » d’Amélie Bonnin est devenu long. Film d’ouverture du festival de Cannes, il ravit par sa proposition formelle originale qui raconte bien plus que son propre récit.

« Qui dit amour dit les gosses »
Partir un jour » démarre sur les chapeaux de roue avec un test de grossesse aussi redouté que positif. En deux minutes, la plupart des enjeux du personnage sont posés, et les drames se multiplient : la grossesse non désirée de Cécile est redoublée par un coup de téléphone de sa mère, qui lui apprend l’AVC de son père. S’ajoute à tout cela un stress constant et grandissant : celui de l’ouverture prochaine du restaurant de Cécile, reconnue dans toute la France pour sa cuisine à la suite de son passage par l’émission Top Chef. Si l’on a quelques doutes dans un premier temps face à ce rythme effréné, qui rendrait presque le jeu de Juliette Armanet moins convaincant, ils se dissipent dès la première chanson du film : entonnant un « Alors on danse » évidemment un peu dissonant, l’univers dans lequel nous plonge Amélie Bonnin est posé.
« On dirait qu’ça t’gêne de dîner avec nous »
Après avoir salué son chien Bocuse, Cécile retrouve les fourneaux du routier familial dans lequel elle a grandi, circonspecte face aux bavettes, macédoines et andouillettes qui s’y concoctent. Les positionnements sociaux des personnages passent dès lors par l’assiette. Dans sa campagne natale, ses trois amis d’enfance tirent la langue, dégoûtés de la panna cotta roquefort-café que Cécile a inventée. Le trio infernal – sorte de chœur trickster – est superbement incarné, et amène une dose comique au film, notamment lorsqu’ils clament « Etchebest c’est le best du best ! ». Se jouant de la situation de la transfuge de classe qu’est Cécile, le film illustre les dissonances, notamment lorsque cette dernière répond aux questions d’une journaliste d’un grand magazine féminin les pieds dans la boue. La chanson « Le Loir-et-Cher » de Michel Delpech vient alors surligner cette idée avec un certain didactisme, qui se lit plus comme une figure de style appréciable que comme un défaut.
« Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots »
Le mécanisme de frénésie à l’œuvre dans l’introduction de « Partir un jour » se retrouve dans la globalité du film : tout se passe comme si la réalisatrice avait, pour se concentrer sur le cœur de son film, évacué des problèmes. Ceux d’une narration d’abord, qui se tient droite dans son genre de narration de transfuge ou sorte de « coming-home movie » sans faire de vague. Le récit que l’on connaît d’avance est par ailleurs redoublé par des dialogues plutôt attendus. Mais tout cela n’est pas grave, car le film plaide magnifiquement la cause d’un cinéma qui pense que l’on peut raconter mille fois la même histoire, tant qu’on la raconte vraiment différemment. Et c’est exactement ce que réalise Amélie Bonnin en imaginant une forme assez inédite de comédie musicale, qui parle magnifiquement bien du rapport aux chansons populaires, et par extension aux mots. Ses personnages, évoluant dans des univers sociaux différents, sont communément traversés par les « mots des autres », ceux de vieilles – ou plus récentes – rengaines françaises. Les chansons permettent dès lors de mettre l’emphase sur des
émotions aussi simples que les situations qui les font émerger.
« Quand le rideau un jour tombera, j’aimerai qu’il tombe derrière moi »
Alors qu’elle s’apprête à rentrer à Paris, Cécile regarde son père de dos, travaillant dans la cuisine de son restaurant qu’il ne peut se résoudre à abandonner malgré ses problèmes de santé. Leur rapport est très conflictuel – le père n’a de cesse de reprocher à sa fille d’avoir changé -, mais Cécile l’entend entonner « Mourir sur scène » de Dalida, ce qui la convainc de rester. Cette superbe séquence trouve plus tard son pendant tout aussi magistral avec la chanson « Cécile ma fille » de Nougaro. De Dalida à Michel
Delpech, en passant par Stromae, les personnages se réapproprient ces poèmes que tout le monde connait, au point de les incarner. Ces paroles de chansons qui nous reviennent spontanément en tête et se téléportent dans nos vécus individuels : voilà ce que propose de représenter cinématographiquement Amélie Bonnin, encore plus que l’histoire de Cécile Béguin. « Partir un jour » ne met dès lors pas des mots nouveaux sur une situation habituelle, ni ne pose de mots courus sur une situation originale : à l’image de toutes ces vieilles chansons, Amélie Bonnin re-brasse de vieilles cartes pour imaginer un nouveau jeu. Dans de vieilles marmites, une fine soupe.