Cinéma – Les enfants des autres, de Rebecca Zlotowski
Donner de l’espace aux femmes qui cherchent leurs places
Un à deux vendredis par mois, le cinéma City club de Pully organise des séances spéciales à tarif plus bas, pour les seniors mais ouvertes à toutes et tous en collaboration avec pro senectute. Le vendredi 18 novembre à 14h30, la séance sera ainsi consacrée au superbe dernier film de Rebecca Zlotowski.
Des liens aux enfants des autres
Rachel est prof de français dans un lycée parisien. Dans plusieurs univers, on la voit profiter des liens forts qu’elle a tissés au travers des années: son lien à sa sœur, avec qui elle a surmonté le difficile deuil de leur mère alors qu’elles avaient moins de dix ans, lien à son père, qui vient compléter le duo à merveille, lien à ses élèves, des enfants des autres qui sont un peu les siens tout de même, lien à son ex d’il y a dix ans qu’elle continue de voir, et nouvellement lien à Ali, un homme qu’elle a rencontré à son cours de guitare. Rachel est ainsi une quarantenaire sans enfant à la vie aussi complète que joyeuse. Malgré tout cela, le désir d’avoir un enfant et l’horloge biologique la pressent. Lorsqu’elle rencontre la petite fille d’Ali, âgée de cinq ans, elle s’attache rapidement à l’enfant, tout en subissant ce que ce lien a d’ingrat : belle-mère, elle assume toutes les responsabilités d’une mère de famille sans en soutirer les bénéfices, sans en soutirer le précieux mot de « maman » dans la bouche d’un enfant, et tout ce qu’il sous-entend: la gratitude, le souvenir, l’attachement infini.
Les ingratitudes d’une vie amoureuse
Rachel s’adapte ainsi sans cesse à un quotidien orchestré autour de la petite Leila, qui l’aime tout en ne comprenant pas vraiment ce qu’elle fait là. Le film pose ainsi la question de la définition difficile des places dans les familles recomposées, mais aussi de la violence symbolique des liens amoureux. Le vivre-ensemble requiert en effet une adaptation, mais aussi une implication émotionnelle et un attachement qui dépasse celui de l’être aimé. Rebecca Zlotowski parvient ainsi très bien à restituer ce don de soi qui est particulièrement douloureux et risqué lorsque les histoires d’amour ne durent pas toute la vie. Ce qui fait la beauté d’une vie telle que celle de Rachel, la diversité et l’ouverture, est ainsi aussi ce qui la rend douloureuse et ingrate.
De figurante à protagoniste
Le film met ainsi en son centre un personnage placé sans cesse au second plan au sein de l’histoire de la famille d’Ali. Particulièrement bien écrit, les dialogues thématisent cela lorsque Rachel souligne qu’elle est condamnée à « être une figurante dans la vie de Leila », et qu’elle finira par être oubliée de la petite. Le mouvement de ce film qui met au centre un personnage qui souffre d’être secondaire, est aussi fort que pertinent, et permet de donner des visages à une situation qui n’est sinon que très peu représentée à l’écran. Un élément à l’image relaie par ailleurs cet aspect: à chaque fin de ce qui s’apparente à des chapitres de la vie de Rachel, la transition au noir est opérée par un cadre qui se rétrécit sur le visage de Rachel (une fermeture à l’iris), comme pour entamer un point de situation sur le personnage. Un personnage dont le compte à rebours contre l’horloge biologique est par ailleurs lancé, un compte à rebours dès lors bien thématisé par le langage cinématographique.
Des visages à une situation qui n’en avait pas
La distribution du film est particulièrement bien pensée pour incarner ces différents archétypes de la cellule familiale 2.0.
Virginie Efira est ainsi Rachel, l’épanouie quarantenaire qui ne s’est jusqu’ici pas conformée au modèle familial traditionnel. Pour l’accompagner, le charismatique Roschdy Zem incarne le touchant père de famille, que sa femme a quitté. Cette dernière est jouée par Chiara Mastroianni, la fille de Catherine Deneuve et de Marcello Mastroianni. La combinaison de ces deux visages bien connus du cinéma français et italien, réunis dans celui de leur fille donne au personnage d’Alice une présence forte et persistante. Ceci permet à la figure de l’ex-femme d’exister très fort en arrière-fond de ce film, sans apparaître beaucoup à l’écran. Ce film est ainsi un film nécessaire et qui manquait, une lettre d’amour aux femmes sans enfants, et une très belle mise en image de la quarantaine libérée des injections patriarcales.
« Les enfants des autres » de Rebecca Zlotowski
Avec Virginie Efira, Roschdy Zem, Victor Lefebvre
Fiction, France, 2022, 1h43, En Français, 12/16
Vendredi 18 novembre à 14h30 (ouverture des portes à 14h)
au cinéma City-club de Pully