Cinéma – Le divan du jeudi soir au CityClub de Pully
Le Centre de psychanalyse de Lausanne, qui a pour objectif le développement de la psychanalyse en Suisse francophone, poursuit son cycle de films interrogeant les liens entre la psychanalyse et le cinéma, deux disciplines naissant conjointement à la fin du XIXe siècle. A Dangerous Method de David Cronenberg sera projeté ce jeudi au cinéma Cityclub de Pully. Ce long-métrage de 2011 explore la relation entre Carl Gustav Jung, Sigmund Freud et leur patiente Sabrina Spielrein.
Ne me regarder sous aucune circonstance
Si le nom de l’évènement qui accueille A dangerous method ce jeudi signale la présence d’un divan, il n’en est rien dans le film de Cronenberg. En effet, la thérapie jungienne se déploie sur deux chaises disposées l’une derrière l’autre. « Afin de vous déranger le moins possible je vais m’asseoir derrière vous. Ne vous retournez pas et ne me regardez pas quelles que soient les circonstances » annonce Jung (Michael Fassbender) à sa patiente Sabina Spielrein (Keira Knightley) lors de leur première entrevue. A la manière d’un réalisateur de cinéma, le personnage du film de Cronenberg pose le cadre. Il détermine le décor et le positionnement des corps dans l’espace, et intime à sa patiente de ne pas le regarder, comme on interdirait à ses acteurs et actrices de ne pas s’adresser à la caméra.
Jung aux commandes du découpage
Cette disposition dans l’espace de deux personnages qui se parlent sans se voir crée une occurrence singulière de champ-contrechamp. Classiquement, le cinéma restitue des échanges entre personnages par la juxtaposition de plans qui cadrent l’un puis l’autre de face ou de trois-quarts en faisant pivoter la caméra de moins de 180 degrés. Ici, puisque Jung et Sabina sont assis·es l’un derrière l’autre, les deux personnages peuvent être tous deux vus de face dans un même axe. Lors de leur deuxième entrevue du film, la séquence s’entame sur un plan large laissant voir les deux visages nets. Alors qu’elle tente de raconter un cauchemar dans lequel elle sent un mollusque dans son dos, un plan vient isoler Jung qui la regarde, puis adopte son point de vue à lui en révélant le dos de la patiente. Petit à petit, la caméra se focalise sur Sabina, en rendant le visage de Jung flou. La parole de la patiente se déploie, au point que l’on pourrait oublier la présence du psychanalyste, jusqu’à ce que Jung réapparaisse à l’image pour provoquer chez Sabina une dernière flambée de mots. Alors que la caméra adopte le point de vue du psychanalyste par instant, et qu’elle semble suivre ses volontés de recadrage thérapeutique, tout se passe comme si le psychanalyste était aussi en maîtrise du cadrage de ces séquences. Celui qui pose le cadre thérapeutique semble ainsi poser en même temps le cadre cinématographique.
Le psychanalyste metteur en scène
Tout comme un·e réalisateur·ice avec son actrice, le ou la psychanalyste tente de faire jaillir de sa patiente une émotion cathartique. Pour ce faire, tous·tes deux tentent de poser un cadre dans lequel la parole investie de sentiments peut se déployer. Le parallèle entre Jung et sa propre posture de réalisateur semble ainsi créé par Cronenberg dans ces séquences de thérapie. Interrogée par Carl Gustav Jung, les mots de Sabina s’articulent difficilement. Elle tord sa bouche, gesticule sous la torture des souvenirs. L’interprétation que Keira Knightley propose du personnage historique de Sabina Spielrein fascine ainsi dans ce qu’elle montre de la difficulté à sortir les mots d’un récit traumatique. Aux commandes de la thérapie, Jung saisit les zones d’ombre inavouables de sa patiente pour l’aider à aller plus loin dans son parcours. A dangerous method semble ainsi construire un parallèle glaçant entre la figure de psychanalyste et celle du metteur en scène. Par cette représentation de plein pouvoir sur le cadre psychanalytique, relayée ici par le plein pouvoir sur le cadre de la caméra, les séquences de thérapie de A dangerous method signale tous les risques d’abus de pouvoir que comporte les postures de thérapeute comme de metteur en scène, une idée qui ne manque pas d’écho avec la nouvelle vague me too qui remue actuellement la France.
A Dangerous Method Fiction de David Cronenberg
Royaume-Uni, Allemagne, Canada, Etats-Unis, Suisse
2011, 1h39, vost.fr, 14/16
A voir au cinéma CityClub le jeudi 13 juin, à 20h