Cinéma – L’amour du monde, de Jena HASSE
Présenté aux festivals de Cannes et de Berlin cette année, le long-métrage de la réalisatrice suisse est un très beau récit d’amitié et de découvertes adolescentes.
Meubler l’été
Margaux a quatorze ans, mais bientôt quinze, comme elle le précisera à la jeune Juliette rencontrée dans le foyer où elle fait un stage d’été avec beaucoup de dépit. Juliette est plus jeune, mais elle partage avec Margaux la colère et l’ennui, qui deviennent bientôt moteur d’une amitié tissée au travers des fugues et des élans de vie, sur les rives du lac Léman. L’histoire est locale, elle ne ressemble pourtant que peu à ce que l’on a l’habitude de voir dans les œuvres suisses contemporaines.
Passe-moi les jumelles
En plein mois d’août, à cet âge où l’on n’est qu’à moitié libre, coincé par les choix parentaux mais gentiment conscient de la responsabilité que l’on a de mener sa vie, Margaux s’ennuie. Lorsqu’elle reçoit des photos de ses amies en vacances sans elle, le poids de l’immobilité en Suisse est suffisamment grand pour la pousser à mentir, lors d’une drôle de séquence où elle s’approprie les images d’un reportage Passe-moi les jumelles.
En quête d’ailleurs
Pour sortir de ce morbide ennui, Margaux part en quête d’ailleurs, par un stage en foyer qui ne la stimule d’abord pas, par de brèves infiltrations au cinéma local, mais aussi par l’attachement qu’elle développe pour un pêcheur qui vit la majeure partie de son temps en Indonésie. Or cette rencontre est le fruit d’une première fugue, celle qu’initie la petite Juliette. Car outre le récit de la vie plate de Margaux, l’amour du monde est le récit d’une amitié forte entre deux jeunes filles d’âges différents, que l’abandon parental et l’ennui relient. La jeune Margaux que l’on voyait dans En août a grandi, mais voilà sa petite sœur symbolique dans le personnage de Juliette. Tout se passe ainsi comme si l’une et l’autre se reconnaissaient instantanément par les symptômes de leurs failles communes, par leur envie de découverte et de brisure du cadre.
L’amour du monde convainc ainsi par la stoïcité de son personnage principal qui s’éveille brutalement par instants, comme se réveillant soudainement du songe qu’est l’enfance. Un personnage aussi paumé qu’apathique, blasé d’une vie sur laquelle il n’a pas de prise, mais qui brutalement s’éveille dans le tissage d’un lien magnifique : celui à Juliette, qui fonctionne comme un reflet de l’enfant qu’elle a été et qu’elle est en train de quitter, partant pas à pas à la rencontre de l’adulte qu’elle est en train de devenir.
Un court-métrage comme prologue
Surprise lors de la séance de L’amour du monde aux cinémas du Grütli vendredi soir : cette dernière s’entame sur la projection d’un court-métrage. Une décision qui prend tout son sens tant le court En août de la même réalisatrice et datant de 2014 s’apparente à un prologue de L’amour du monde. Le court-métrage En août présentait déjà en 2014 le personnage de Margaux, incarné par la même actrice, une petite fille dont les parents séparés semblaient suffisamment en colère pour ne pas s’adresser la parole lorsqu’ils se remettaient leur fille comme un colis, dans le cadre d’une garde partagée. Une colère parentale que l’on anticipe dans la fureur de l’enfant, qui rejette son père pour mieux l’adorer quelques minutes plus tard, lors d’une balade en cabriolet magnifiquement filmée de profil, avec les montagnes en arrière-plan.
Dans L’amour du monde Margaux a grandi et sa mère ne fait plus partie du paysage. Elle vit avec son père banquier, dans une chambre d’hôtel qui ne lui laisse que peu de l’intimité nécessaire à un âge pivot de l’adolescence. Le peu de répit laissé par ses absences est par ailleurs interrompu par l’arrivée de la nouvelle copine de Monsieur, it-girl aussi souriante qu’agaçante.
L’amour du monde
Fiction, Jenna Hasse, Suisse, 2023, 85’, VF, 16/16 ans
Cinéma d’Oron
Première en présence de la réalisatrice
Mardi 18 avril, 20h