Cinéma – La maltraitance dans les os
L’intérêt d’Adam de Laura Wandel

Après « Un monde » en 2019, Laura Wandel se replonge dans les violences de l’enfance par l’histoire d’une mère qui anéantit son fils en tentant de prendre soin de lui.
L’hyper-contrôle de la mère nourricière
On pourrait dire qu’elle est toxique : Rebecca (Anamaria Vartolomei) surveille tout ce qui entre dans la bouche de son fils de quatre ans (Jules Delsart) au point de lui créer un trouble du comportement alimentaire qui se répercute sur ses os et lui fait risquer d’avoir des séquelles à vie. Malgré l’hyper-présence de sa mère qui a tout de la figure de mère nourricière, Adam est mal nourri. Rapidement lui attribuer l’étiquette « toxique » ne serait néanmoins pas respecter la finesse du film de Laura Wandel, qui, comme avec son œuvre précédente, scrute la complexité d’une situation qui donne lieu à une forme de violence. Cette forme singulière de maltraitance est prise en charge par Lucie (Léa Drucker), qui travaille au service pédiatrique de l’hôpital où séjourne Adam. Elle s’attelle à l’entreprise ardue de lui faire avaler un plateau repas pour « rendre ses os plus solides ». Le destin de l’enfant pourtant déjà fragilisé est noué : Rebecca convainc Adam de ne pas manger lorsqu’elle est présente, mais sans elle il refuse d’avaler quoique ce soit.
Un étage d’enfants maltraités
Après avoir établi cette situation complexe qui amène toute la tension nécessaire à cette narration (on passe une heure à vainement espérer qu’Adam avale quelque chose !), la caméra à l’épaule du chef opérateur Frédéric Noirhomme suit l’infirmière d’une chambre à l’autre pour révéler une réalité douloureuse du service pédiatrique : la plupart des enfants en bas âge atterrissant à l’étage de Lucie le sont à la suite d’une forme de maltraitance. Ce contexte posé, le film met en lumière la vulnérabilité des enfants face aux sévices de leurs parents. Par l’histoire d’Adam, Laura Wandel représente comment la maltraitance peut prendre des formes invisibles derrière une préoccupation apparente. La violence et les souffrances des adultes se lisent dès lors sur les corps des petits au point de donner une forme tangible et bouleversante aux dysfonctionnements familiaux.
Invisible Adam
Hospitalisé pour être gavé à la sonde, l’enfant qui est central pour l’histoire est néanmoins moins filmé que sa mère, Rebecca, qui occupe tout l’espace de l’écran. Anamaria Vartolomei excelle dans l’incarnation d’une jeune mère en permanence au bord de l’implosion et en même temps vampirique par son trop plein d’affection. Sa proximité exacerbée avec son fils donne l’impression qu’elle va finir par l’avaler, une image faisant écho à la problématique du frêle Adam mal nourri, au corps recroquevillé dans son grand lit. Le sentiment de ne pas voir Adam, grâce au découpage maitrisé du film, poursuit parfaitement la quête d’un film montrant le débordement des problématiques des adultes sur leurs progénitures. Plus qu’Adam, qui n’est vraiment filmé qu’à une occasion au milieu du film, « L’intérêt d’Adam » brosse dès lors le portrait d’une mère qui élève son fils seule. Isolée, ses repères semblent avoir dérivé sans que personne ne puisse le lui signaler.
Un « Laissez-moi vous aider » crié
Consciente que la situation ne pourra être résolue sans la mère, Lucie tente d’inclure cette mère désemparée que la justice aurait plutôt tendance à exclure. Si elle le fait, c’est que la situation de Rebecca ne lui est pas étrangère : ayant élevée sa fille seule, elle dépasse le cadre de son métier en tentant de le faire respecter. Rebecca et son fils deviennent dès lors « un dossier » qu’elle ne peut plus lâcher, remettant son uniforme après ses heures de travail et finissant par sortir du cadre même de l’hôpital dans ses habits de fonction. Rebecca apeurée demande à Lucie « Vous serez encore là, tout à l’heure » comme développant un nouveau rapport de dépendance dans ce contexte qui vise pourtant à le démanteler. Au terme de cet itinéraire fait de débordements de cadres et de fonction, il apparait néanmoins clair que certaines situations ne peuvent être résolues par de simples interdictions, mais plutôt par de l’accueil et de l’accompagnement.