Cinéma – Journées de Soleure : à la conquête de l’image parlante

Vitrine du cinéma suisse, les Journées de Soleure prouvaient cette année encore la nécessité de mettre en images des réalités variées. Tour d’horizon en quatre courts et moyens-métrages représentant à eux seuls une grande variété de paysages.
Inhale (Melana Sokhadze, 2024)
Alors que la petite Nino, treize ans, se prépare pour la course de natation la plus importante de sa vie, son corps vacille : le temps de ses premières règles est arrivé. Découvrant cela, son entraîneur interdit sa participation. En quelques minutes, le film parvient dès lors à représenter la dureté de la société patriarcale géorgienne et le sort qu’elle réserve aux corps féminins. Si le sujet est d’actualité, et qu’il est fréquemment traité, il est ici magnifié par une mise en scène et une image singulière. « Inhale » illustre avec force ce que « tenir tête » veut dire : se dressant sur son plongeoir, la petite Nino dépasse de quelques centimètres en taille son coach charismatique. Alors qu’il l’interpelle, elle le défie par le silence de sa conviction. Un silence qui vient contrer toutes les failles des pâles arguments de l’homme face à elle. En se plaçant dans le point de vue de Nino, le film crée par ailleurs une superbe imagerie de la natation lors de séquences oniriques. Sous l’eau, Nino regarde les spectateurs et spectatrices à la surface, déformés par les vagues, ou encore des nageurs qui lui foncent dessus. Le son sourd du monde sous-marin renforce alors sa puissance, évoquant avec force le rapport intime qu’entretient la jeune femme aux eaux qui la voient grandir.
Habitants (Charline Lefrançois, Florian Geisseler, 2024)
Charline Lefrançois et Florian Geisseler s’attèlent avec « Habitants » à brosser le portrait d’un lieu : celui du Lignon à Genève, avec son long bâtiment et ses deux tours d’habitation. Alors que le complexe de bâtiments représente peut-être ce que l’homme fait de moins naturel comme moyen de logement, il se trouve à deux pas du Rhône et de sa forêt. Circulant entre la nature et ce lieu de vie, les oiseaux deviennent bien vite le point de ralliement des habitant.e.s du Lignon. Le duo de cinéastes et leur chef opérateur Benjamin Bucher (dont on avait déjà apprécié les images dans Full Tank, Visions du Réel 2023 notamment), filment ainsi les lieux et les gens avec beaucoup de soin, de manière à leur rendre pleinement hommage. Le casting est si fascinant que l’on aurait presque souhaité que le film dure plus longtemps. Reliés par le fil rouge que sont les oiseaux, les habitant.e.s d’abord révélé.e.s depuis l’extérieur du bâtiment, encastré.e.s dans des fenêtres empilées, se révèlent ensuite dans toute leur singularité. Filmant un cours sur les oiseaux donné dans une école primaire, la caméra cadre savamment un enfant après l’autre, de sorte à prendre le temps de regarder chacun d’entre eux vraiment.
Habibi Sami (Lesley Kennel, 2024)
Durant les journées de Soleure, outre les salles, il y a un lieu qui ne désemplit pas : la Pittaria de la vieille ville. Le documentaire de Lesley Kennel suit son fondateur, Sami, entre Soleure, où il vit, et Nazareth, d’où il vient. Le protagoniste palestinien est aussi expressif que passionnant à observer. Son franc-parler et sa sympathie naturelle se doublent d’une proximité à ses émotions assez inusuelle qui lui permet facilement de s’ouvrir sur ce qui le touche. Lorsqu’il revisite le village palestinien de Lifta, expulsé au siècle passé, ou qu’il présente la maison que son frère réhabilite, il donne ainsi accès par l’observation de l’extérieur à son for intérieur.
Osteria all’undici (Filippo Demarchi, 2024)
Filippo Demarchi signe un film profondément unique, relatant de son burn-out. Le réalisateur suisse ayant présenté il y a quelques années déjà « La mia danza » dans le même festival revient sur ce qui lui est arrivé entre-temps en se mettant lui-même en scène dans le lieu qui l’a sauvé : l’Osteria all’undici, une institution de réinsertion professionnelle. Alors qu’il y recouvre progressivement la force de raconter des histoires pour le grand-écran, il s’ouvre à ses collègues qui lui rendent la pareille. Le documentaire intime laisse ainsi de l’espace à d’autres personnages pour retracer communément comment la vie fait parfois des détours inattendus. En partant de son histoire, Demarchi parvient par ailleurs à partager en profondeur les étapes de sa décompression psychique, qui résulte d’un isolement de six mois dans un appartement à Minusio où il se consacrait à la lecture dans une forme d’ascèse. Son film apparait dès lors comme une belle preuve de ce que peuvent les récits personnels, tant il rend compte de la singularité d’un parcours de vie.