Cinéma – « Fragments d’un parcours amoureux » de Chloé Barreau
« A qui appartiennent nos souvenirs ? » demande Rebecca Zlotowski face à la caméra de celle qui a un jour été son amante. D’un talking head à l’autre, le documentaire de Chloé Barreau imite le parcours amoureux de cette dernière, pour brosser un portrait en demi-teinte de la réalisatrice qui se dessine bien vite comme la protagoniste du film.

L’omniprésence de la grande absente
En abordant la question de la mémoire partagée et de sa restitution des années après, le film représente comment nos proches sont aussi les disques de sauvegarde de nos vies. Par ses interviews qui s’enchaînent, le film représente fortement cet intangible qu’est la mémoire partagée. Retracer une vie amoureuse par les récits de ceux et celles qui l’ont constituée apparait d’abord comme une idée assez géniale. Par le montage, il s’agit de donner forme au fantasme de savoir ce que nos ex-amants·es gardent comme souvenirs de nous. Utiliser le cinéma pour mettre bout à bout ce qui ne l’est normalement jamais. Pour concrétiser cela, Chloé Barreau envoie une tierce personne faire parler ses ex-compagnons·nes de leurs souvenirs de leur relation. L’enchaînement de talking head emballe d’abord, avant d’agacer par son fond plus autocentré qu’il n’y parait. Par son absence, Chloé Barreau se rend en effet omniprésente.
Des liens empilés en « tu »
En fin de parcours de son film, Chloé Barreau semble s’adresser à tous·tes ses anciens·nes amants·es pour leur dire à quel point ils et elles ont compté pour elle. Les images d’archive montrant les diverses figures de proue de sa vie amoureuse s’enchainent et se remplacent, alors que sa voix s’adresse à un « tu » qui apparait comme en redéfinition constante. Le propos est beau : la séquence semble souligner la valeur des liens, même lorsque ces derniers se substituent les uns aux autres, s’empilant dans ce pronom singulier qu’est le « tu ». Cette séquence finale est magnifique, parce qu’elle exprime parfaitement par sa forme ce qui semble être le projet de la réalisatrice : donner forme à une narration sur l’amour et son parcours. Malheureusement, ce sentiment est absent du reste du long-métrage qui par cette suite de talking-head apparait plus comme un portrait de la réalisatrice elle-même que de ses liens aux autres.
Dans les maux des autres
C’est comme si le film avait été réalisé à l’envers : en voulant mettre en lumière une vie amoureuse faite de connivences et de liens, Chloé Barreau se met elle-même sur le devant de la scène, en grande absente des images que l’on tente d’atteindre par des mots. Fragments d’un parcours amoureux est ainsi un autoportrait par les mots – et les maux – des autres plus qu’une ode à l’amour. Le long-métrage donne dès lors un sentiment étrange : celui de traverser les vies, les visages et les récits d’une multitude de personnages, tous asservis à un seul : celui de la cinéaste. Cet aspect déceptif du film fait par ailleurs écho à ce qui est raconté de sa vie amoureuse, à savoir qu’elle n’a eu de cesse de tromper ou d’utiliser ses conjoints·es. Une de ses amantes parle ainsi face caméra de son sentiment d’objectification dans une des archives de la cinéaste. L’objet filmique est dès lors passionnant, pour cette forme qui fait écho à son fond, mais aussi énervant, parce qu’il donne le sentiment d’un narcissisme vécu amoureusement puis rendu en film.
Infos : Fragments d’un parcours
amoureux de Chloé Barreau, Italie, 2023
A voir tout le mois d’octobre
au CityClub de Pully