CINEDOC – Le rendez-vous documentaire des cinémas romands
Interdit aux chiens et aux Italiens : des marionnettes comme aïeuls
La huitième saison de CinéDoc s’entame ce vendredi à Chexbres avec le film d’animation « Interdit aux chiens et aux italiens », récompensé au festival d’Annecy et ayant reçu le prix du meilleur film d’animation européen 2022. Son réalisateur Alain Ughetto retrace ce qu’a été l’émigration italienne tout au long du vingtième siècle, en représentant son histoire familiale.
Dialogue fictif avec une disparue
L’enquête d’Ughetto part de son nom, qui le mène à un village : Ugheterra, la terre de ses ancêtres. Si ses grands-parents sont nés là-bas autour de 1870, il ne reste plus rien d’eux désormais puisqu’ils ont migré en France pour fuir les difficiles conditions de vie du Piémont. Sur les lieux, le réalisateur est ainsi allé glaner des éléments tels que des brocolis, des châtaignes, du charbon ou du sucre pour reconstituer le décor de son film et de la vie de ses grands-parents Luigi et Cesira. Une vie faite de naissances, de deuils et d’allers-retours entre l’Italie, la Suisse et la France. C’est avec sa grand-mère que le réalisateur simule un dialogue basé en réalité sur les souvenirs de ses oncles, tantes, cousin, cousines et frères et sœurs, mais aussi sur les recherches du sociologue italien Nuto Revelli ayant travaillé sur ce sujet. Partant du « je » de la discussion fictive avec cette dernière, Ughetto donne ainsi vie à toute une génération de migrant·e·s souvent invisibilisés, qui ont façonné l’Europe d’aujourd’hui en construisant par exemple le tunnel du Simplon.
Une main comme personnage
Comment documente-t-on une vie passée, dont les images nous manquent ? A cette question fréquente de la création documentaire, Alain Ughetto semble avoir trouvé sa réponse personnelle et singulière en recréant sa famille par le biais de marionnettes, fabriquées à Rennes (dans le même studio que celles du prochain film de Claude Barras, le réalisateur suisse de Ma vie de courgette !). Il les anime en stop motion pour recréer un dialogue intergénérationnel que le décès de ses aïeux rend sinon impossible. Au-delà de ces personnages de silicone, il s’inclut dans l’histoire par la présence de sa voix qui interviewe la marionnette de sa grand-mère pour lancer le récit. Ayant hérité de son nom comme du rapport au bricolage de son père, la présence à l’image de sa main comme personnage vient en outre relayer la transmission intergénérationnelle qui donne lieu à cette histoire.
Du nom à la terre
Interdit aux chiens et aux Italiens est un objet filmique singulier, qui reprend dans un premier temps certains codes du documentaire classique pour les appliquer au cinéma d’animation. Etonnants sont ainsi des plans d’interview face caméra d’une grand-mère marionnette qui moud son café en parlant avec son petit-fils d’un siècle son cadet. Déroutantes sont en outre les interactions entre ces deux personnages aux échelles différentes, la main du petit-fils faisant la taille de la marionnette de la grand-mère. Passée cette introduction au dispositif aussi surprenant qu’intéressant, le documentaire se déploie en un film d’animation qui se rapproche d’une fiction en nous immergeant dans un vingtième siècle fait de carton, de watt et de charbon .
« Interdit aux chiens et aux Italiens » de Alain Ughetto
Belgique / France / Italie / Suisse, 2022
70’, VF, 6/10 ans
Au Cinéma de la grande salle de Chexbres
le vendredi 29 septembre, à 20h30