Ciné Doc – “Alptraum” – Cauchemar alpestre
«Alptraum» documentaire de Manuel Lobmaier
Colette Ramsauer | Souhaitant renforcer leurs liens d’amitié, deux amis d’enfance décident de passer l’été ensemble sur l’alpage à garder un troupeau, avec l’idée de cinématographier leur aventure alpestre. L’intérêt majeur du film est qu’il montre une démarche à ne pas suivre.
A voir absolument.
236 têtes
Le texte d’un journal, écrit par le réalisateur Manuel Lobmaier et récité par l’acteur Dominique Jann, égraine la période de quatre longs mois à veiller le bétail. En route pour la dernière aventure du monde civilisé, caméra au poing, le cinéaste et son ami filment leur quotidien. Leur histoire débute un jour de fin de printemps alors que l’hélicoptère les lâche sur un pâturage verdoyant d’un paysage grandiose des alpes valaisannes. Ne cherchons pas à savoir où se situe l’endroit, le lieu reste anonyme, les pistes brouillées. Manu et Robi s’installent dans un chalet d’alpage avec onze caddies de nourriture, un chien berger, quatre poules, une dose de bonne volonté et un zeste d’inconscience. Seuls dans cette nature immense, ils découvrent l’ampleur de la tâche: montage de 26 km de clôtures; garde de 236 bovins avec directives de faire évacuer les bêtes portantes ou malades et de transhumer par deux fois plus près du ciel durant la saison.
Eté pourri
Six semaines sans soleil dégradent rapidement la qualité d’un séjour idéalisé. Qui tourne rapidement au cauchemar. Le troupeau va leur causer de sérieux problèmes. Chef d’alpage et propriétaires des bêtes ont-ils pris leurs responsabilités en confiant leur bétail à de jeunes adultes inexpérimentés? Manu et Robi obstinés lutteront pourtant jusqu’au bout. «J’ai retenu que la fierté peut vous mener sur le faux chemin, confesse le réalisateur. Le film le dit d’ailleurs. La fierté fait que certaines personnes – comme Robin et moi – jouent l’«homme fort» qui lutte et qui n’abandonne pas, alors qu’il vaudrait mieux abandonner, accepter ses faiblesses, ne plus s’entêter, et chercher de l’aide».
«Eté fané, amitié fanée»
Quand la caméra ne capte pas les images du troupeau égaré ou des merveilleux paysages brumeux accompagnées d’un choix musical réussi – folk, méditatif, chants diphoniques – les deux amis se filment mutuellement, comme Manu à son accordéon jouant un air de Bach; ou chantant en duo, Robi à la guitare; racontant joies et misères du quotidien, près du feu de cheminée ou les pieds dans la boue: «Il faut avoir des muscles d’acier, aimer les chiens mouillés».
A leur téléréalité s’ajoute un personnage inattendu, Johanna, qui sur un pâturage voisin, vit avec… 930 moutons! La bergère est forte et sensible, timide, mais pas tant que ça. Elle viendra en aide aux deux bergers dépourvus face aux soins à porter aux vaches malades. Et sèmera le trouble. Rien d’étonnant car elle est fort jolie.
«Dans la vie, les personnes changent, prennent d’autres chemins. Avec Robin, pendant cet été à l’alpage, on était persuadé qu’il fallait à tout prix maintenir notre amitié. Ce n’est qu’à la fin que j’ai compris qu’il fallait simplement lâcher prise» nous dit Manuel Lobmaier. «La montagne nous hante par sa grandeur sans répondre à nos questions, nous vivons et la nature s’en soucie guère» écrit-il dans son journal. En épilogue, façon de se réconcilier avec elle, il prend un bain chaud face aux montagnes dans le soleil couchant.
Le réalisateur
Manuel Lobmaier né en 1981 à Adliswil, a grandi dans le Haut-Valais. En 2009, il obtient le bachelor des arts en vidéo et films à ECAV (Ecole cantonale d’art du Valais, à Sierre) Il travaille comme caméraman, script, réalisateur TV et musicien. Après plusieurs courts métrages, il sort «Aline» vidéo 57’, d’après un texte de C.F. Ramuz, puis son premier long métrage «Alptraum» qui lui a valu plusieurs prix.
A la question de savoir ce que lui a apporté cette invraisemblable aventure sur l’alpage, il répond: «J’ai appris à lâcher prise. Dans la vie, les personnes changent, prennent d’autres chemins. Avec Robin, pendant cet été à l’alpage, on était persuadé qu’il fallait à tout prix maintenir notre amitié. Ce n’est qu’à la fin que j’ai compris qu’il fallait simplement lâcher prise. L’autre chose que j’ai retenue, c’est que la fierté peut vous mener sur le faux chemin. Le film le dit d’ailleurs. La fierté fait que certaines personnes (comme Robin et moi) jouent l’ «homme fort» qui lutte et qui n’abandonne pas, alors qu’il vaudrait mieux abandonner, accepter ses faiblesses, ne plus s’entêter, et chercher de l’aide». CR