CINE DOC « Silence radio », de Juliana Fanjul
Le Ciné-Doc de ce mois traite de l’état catastrophique de la liberté de la presse au Mexique par un saisissant portrait de Carmen Aristegui, une journaliste en lutte. Une co-production entre la Suisse et le Mexique, visible dans le cadre de l’édition 2021 du FIFDH.
Couper la voix
Charlyne Genoud | « Silence radio » débute en mars 2015, sur un licenciement injuste qui révèle l’état catastrophique de la liberté de la presse au Mexique. Il s’agit de celui de Carmen Aristegui, journaliste dont l’émission radiophonique d’information révélait jusqu’alors à un large public les problèmes politiques de son pays. Mais la publication d’un scandale de corruption concernant le président mexicain en constituera le
dernier sujet.
Diffuser, malgré tout
Suivie par des millions d’auditeurs et soutenue par eux lors de ce licenciement, la chroniqueuse parvient cependant à continuer de faire porter sa voix malgré les abus des autorités en créant sa propre plateforme de diffusion. Ce retournement de situation est suivi par la documentariste Juliana Fanjul, qui commente en voix off les difficultés rencontrées par la journaliste dans sa lutte pour la liberté de la presse. Puissante et inébranlable dans son combat contre un système intoxiqué par la corruption, Carmen Aristegui laisse cependant parfois surgir un peu d’émotion dans les tragiques moments qu’elle traverse, notamment le deuil qu’elle doit faire de certains de ses collègues. Ponctué par des morts, son itinéraire filmé révèle ainsi tout ce qu’il comporte de dangers. Observer son acharnement en septante-huit minutes permet ainsi de prendre conscience de la gravité de la situation; la journaliste semble porter à bout de bras ce qu’il reste de la démocratie pour la défendre dans un système malade. Adulée par ses dix-huit millions d’auditeurs, Carmen Aristegui est un danger constant pour le PRI, parti au pouvoir depuis septante ans, qui tente de camoufler ses méfaits. Le long-métrage inquiète à ce titre son spectateur; s’il s’ouvre sur la mort du journaliste Javier Valdez Cárdenas, qu’adviendra-t-il de la vie de cette journaliste qui mène ses propres enquêtes pour lutter contre la désinformation ? Les menaces s’empilent dans la boîte aux lettres de celle, adulée ou haïe, qui ne laisse personne indifférent dans le tumulte mexicain.
Filmer une menacée
« Silence radio » est le deuxième long-métrage de Juliana Fanjul après « Muchachas » qui retraçait le quotidien de gouvernantes au Mexique. D’origine mexicaine, sa réalisatrice vit depuis longtemps en Suisse et porte sur son pays un regard singulier depuis l’étranger, à la manière de Patricio Guzmán. De ce lien à la Suisse découle un financement par la RTS, ainsi qu’une première mondiale au festival de Zurich. Par cette vue distancée de son lieu d’origine, la réalisatrice rétablit une vision correcte sur ce pays lointain, en ayant pris toutes les précautions nécessaires pour inclure le spectateur étranger sans ennuyer le local, aidant ainsi la voix de Carmen à dépasser les frontières. Mais filmer Carmen Aristegui n’est pas chose aisée : la réalisatrice a dû gagner la confiance d’une femme dont l’intégrité est sans cesse menacée. Elle conte en interviews les étapes de leur rapprochement, qui a permis au film de voir le jour.En respectant le choix de la journaliste de ne pas révéler sa vie privée, Juliana Fanjul est parvenue à réaliser un documentaire qui se concentre avant tout sur la profession de Carmen et la lutte qu’elle entraîne, tout en en dressant un portrait distant. Le respect de la voix mais aussi des silences de la journaliste semblent ainsi avoir permis à Juliana Fanjul d’élaborer un film dans la lignée du travail de Carmen Aristegui : informatif et vrai, à la lutte efficace.
Ciné-doc et le FIFDH
Le festival du film et forum international sur les droits humains fêtera bientôt ses vingt ans.Vingt ans de débats et de projections réunissant diplomates, ONG, victimes, artistes, financiers, militants, journalistes et grand public. En 2020, il accueillait « Silence radio » au sein de sa compétition de documentaire. Du 5 au 14 mars, le film sera visible via le site du festival dans le cadre des projections spéciales de cette édition, co-présenté avec la Délégation Genève Ville Solidaire (DGVS) et la RTS. CG