C’est à lire – Une fantastique aventure médicale
Le célèbre spécialiste en chirurgie cardiaque pédiatrique René Prêtre parle de son art

René Prêtre vient de donner une conférence à Puidoux, devant les municipalités de notre région. Il avait déjà retranscrit en 2016 ses souvenirs dans un livre passionnant, Et au centre bat le cœur. Disons-le d’emblée, le personnage est attachant. Ce sont les qualités de l’homme, et non seulement ses prouesses chirurgicales, qui lui ont valu la distinction honorifique de « Suisse de l’année » pour l’année 2010. On appréciera d’abord sa modestie. Il n’est pas un « faux modeste ». Conscient de sa valeur, il associe cependant à la réussite de ses opérations toute son équipe, ainsi que les médecins et hôpitaux qui l’ont formé.
Certes, le récit de nombreuses interventions intéressera au premier chef le corps médical, car il s’agit de problèmes bien complexes pour le simple lecteur. Mais René Prêtre est un excellent vulgarisateur (dans le meilleur sens du terme), et il possède un véritable don de conteur. La narration détaillée de certaines de ses opérations ou transplantations cardiaques relèvent donc presque du thriller. Loin de l’atmosphère agitée de certaines séries télévisées étasuniennes, on perçoit une atmosphère de totale concentration du chef d’équipe, des anesthésistes et autres médecins, des infirmiers et infirmières, bref de tous les intervenants. Au passage, l’auteur nous donne de véritables leçons d’anatomie, de médecine et de chirurgie. Son ouvrage, illustré par quelques photos, est tout à fait accessible pour le profane. Il nous rappelle par exemple que « le cœur ne peut être arrêté que si sa fonction – activer la circulation sanguine – est maintenue. » D’où un appareillage très lourd, « une tonne, pour un être de huit kilos », et coûteux, donc réservé aux pays riches. Cela dit, le chirurgien continue à faire bénéficier de son art des pays beaucoup moins bien dotés que la Suisse (Cambodge, Mozambique). Il a consacré un autre livre à ces missions médicales en Afrique. Il a d’ailleurs créé en 2006 la Fondation Le Petit Cœur pour soutenir ses projets humanitaires.
Relevons quelques aspects particulièrement intéressants de l’ouvrage. René Prêtre met en évidence l’importance de l’habileté manuelle, lorsqu’on opère ou transplante des cœurs de 45 grammes. Et aussi la nécessaire formation de 10 ans de travail à raison de 10 heures par jour, cela dans les établissements hospitaliers les plus réputés. L’auteur rend enfin hommage à tous ces hommes de sciences et médecins avant-gardistes qui, depuis
le XVIIe siècle, ont permis à long terme des opérations d’une
complexité extraordinaire.
En dehors de la médecine stricto sensu, le livre contient des aspects humains souvent émouvants. Ainsi la détresse des parents devant le sort incertain de leur tout petit enfant, ou face au décès de celui-ci. Car René Prêtre n’occulte pas ses échecs, ce qui ne signifie pas fautes médicales, mais tentative parfois quasi désespérée de sauver un minuscule être humain. Il pose aussi des questions éthiques, comme le choix que doivent faire les parents, par exemple face au risque que l’enfant subisse toute sa vie de lourds handicaps mentaux : faire opérer ou non ?
De manière plus légère, l’auteur relate – malheureusement un peu trop brièvement – sa passion pour le football, pratiqué dans sa jeunesse, son soutien au HC Ajoie, qui rassemble toute une région, son enthousiasme pour la cause jurassienne, voire ses quelques beuveries de jeune homme, et surtout son enfance dans la ferme familiale à Boncourt. Bien qu’il reste très pudique sur sa vie privée, ces pages nous rendent le personnage encore plus sympathique. Ce qui manque juste à cet ouvrage, c’est un témoignage (porté cependant dans plusieurs interviews TV par le célèbre chirurgien) sur les mérites du système scolaire et
académique suisse, qui permet à un « simple » fils de paysans jurassiens, aux moyens financiers limités, de faire de brillantes études universitaires et de devenir ce qu’il est.
Enfin, son livre devrait servir de leçon à tous et toutes les fanatiques des médecines dites « douces » ou « parallèles » (dont certaines par ailleurs ne sont pas à rejeter), qui nient les fantastiques avancées de la médecine scientifique. Qui aurait parié, il y a encore quelques décennies, qu’on pourrait sauver des nouveaux nés de malformations ou de problèmes cardiaques qui les auraient conduits irrémédiablement à une mort trop précoce ? En cela, le livre de René Prêtre est indirectement un plaidoyer pour le progrès, mais rempli d’humanité.
René Prêtre, « Et au centre bat le cœur »
Chronique d’un chirurgien cardiaque pédiatrique, Paris, Flammarion, 2016, 339 p.
Fondation Le Petit Cœur
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