C’est à lire
Un roman qui raconte la Russie de Staline à l’ère de Poutine

Ce beau roman d’un auteur russe écrivant en français se décline en trois parties. La première, la plus intimiste, se situe à Paris. L’écrivain en exil Choutov, qui peine à publier ses livres en France, est quitté par Léa, sa jeune amie. Dans une sorte de fuite, il décide alors de regagner Saint-Pétersbourg. Il espère y renouer avec Iana, dont il était amoureux trente ans auparavant. Or ses retrouvailles avec la Russie, vingt ans plus tard, vont être une immense déception. Ayant quitté l’Union soviétique, il trouve une Russie complètement changée, caricaturant l’Occident dans ce qu’il a de pire, l’affairisme, le culte du fric et du bling-bling. Le fils de Iana, Vlad, qui ne rêve que de business et en adopte le langage, en est la personnalisation. Voilà pour la deuxième partie de ce roman-fresque, qui s’inscrit dans la grande tradition de
Tolstoï, Gorki ou Boris Pasternak, l’auteur du Docteur Jivago.
Mais c’est la troisième partie qui est la plus intéressante, et souvent bouleversante. Choutov fait la connaissance d’un vieil homme nommé Volski. Celui-ci a vécu le terrible siège de Leningrad par la Wehrmacht (1941-1944). Makine en donne une vision hallucinante : le froid et la faim règnent, les cadavres gelés s’entassent dans les rues, pourtant la ville résiste, et même l’opéra et les salles de concert restent ouvertes, à la lueur des chandelles. Volski y vit un grand amour avec Mila. Le couple fait preuve d’héroïsme, participant à un chœur qui chante pour les soldats sur la ligne de front. Puis, tous les hommes valides étant mobilisés, Volski concourt à la libération de son pays. Il participe à la gigantesque bataille de Koursk, qui oppose 3000 chars russes et allemands, parfois au « corps à corps » : quelques pages d’anthologie dans ce roman, dignes de la description de la bataille de Borodino dans Guerre et Paix.
Après la guerre, le couple s’installe près de Leningrad dans une isba épargnée par la guerre, où il vit quelques années de bonheur dans la simplicité. Mais il va être broyé par la machine de répression stalinienne, dont seul Volski réchappera. Et Choutov retrouvera plus tard la tombe de cet « homme inconnu », où figure seulement la mention « h.i ».
Ce roman vaut par sa puissance d’évocation de la grande Histoire, dans laquelle s’inscrivent des destins individuels. L’écrivain Andreï Makine s’était déjà fait connaître par d’autres romans, dont Le Testament français, qui avait obtenu le Prix Goncourt en 1995. Celui dont nous parlons ici ne date pas d’hier, mais il garde toute son actualité.
Andreï Makine, La vie d’un homme inconnu
Seuil 2009, 268 p. ( Points P2328 )