C’est à lire
A la rencontre d’une femme poète amoureuse du monde

Il est très rare que nous évoquions des poèmes dans cette rubrique. En effet, ceux des poètes contemporains sont souvent abscons, voguent dans les limbes éthérés, ils s’adressent à une minorité de « happy few » et d’intellectuels branchés. C’est pourquoi j’ai été séduit par le recueil fresco stasera, qui par sa fraîcheur et sa simplicité – dans le meilleur sens du terme – parlera à de nombreux lecteurs et lectrices.
D’abord un rapide portrait de l’auteure. Marina Salzmann est une jeune et belle sexagénaire, dont le visage expressif et les yeux pétillants traduisent une vive curiosité envers la vie, les sites, la nature et les êtres humains. Elle est née à Vevey, a passé son enfance à Nyon. Puis la famille s’est établie au Tessin, plutôt que de partir en Thaïlande (un poème évoque d’ailleurs le regret de n’avoir pas connu le pays des wat bouddhistes). A dix-sept ans, elle part « sur les routes », pour parodier le titre du fameux livre de Jack Kerouac. Elle voyage « comme on pouvait le faire à ce moment-là, de manière assez impulsive, parce qu’on aimait quelqu’un ou une chanson, en Italie, aux Etats-Unis, dans les Caraïbes, en mer », selon ses propres termes. Ses vadrouilles à travers le monde sont bien évoquées dans ses poèmes. De retour en Suisse en 1984, elle fait des études de Lettres à Genève, enseigne et surtout commence à écrire. A ce jour, elle a publié plusieurs romans et recueils de poésie.

fresco stasera (il fait ou fera froid ce soir) rapporte le propos d’un vendeur africain rencontré sur une plage de Sardaigne. Le recueil évoque de multiples endroits dans le monde, avec une prédilection pour les pays du soleil, et notamment la Grèce : « Le ciel est ordinaire/sans bornes/mais la mer/ deux collines de part & d’autre du village/la maintiennent entre leurs pinces/dans les proportions raisonnables d’un golfe/où se balance un voilier bleu » ou encore : « au-delà du bric à brac/de l’exploitation balnéaire/la mer exhibe l’air innocent/tous ses diamants ». On notera une vision particulièrement réussie de l’atmosphère de Marrakech et de sa place Jemaa el fna. L’auteure vit dans le monde contemporain et use volontiers de termes familiers comme « deuxio », « plexy », « hop ! » ou « spa ». Le recueil ne manque pas d’humour, lorsqu’elle parle de son fils Simon, qui la moque gentiment sur ses élans littéraires. La nature, les fleurs, les plantes ne sont pas absentes du livre, pas plus que les êtres humains simples et au travail, tel ce peintre qui repeint une maison en Grèce. L’ouvrage contient une critique implicite d’un certain monde contemporain frelaté, notamment par le tourisme de masse et la civilisation du coca-cola. L’auteure est à la quête de la simplicité et de la Beauté vraie. Terminons par son évocation des cigales à Cassis : « mille trilles que rince la lumière de juillet/mille ritournelles tordues infinies/essorées dans la vrille/de la longue journée. »
« fresco stasera » de Marina Salzmann
Bernard Campiche, Éditeur, 2024, 143 p.