C’est à lire
Alex Capus nous les narre de façon vivante et historiquement juste
Des événements et des personnages suisses méconnus
L’écrivain Alex Capus est très connu un Suisse alémanique, mais aussi chez les lecteurs et lectrices francophones, par son roman Léon et Louise, qui a un fond historique. Dans un précédent article du Courrier, nous avions rendu compte de son livre Du rêve à l’audace. Douze destins suisses d’exception, qui relate les vies de Suisses ayant cherché la gloire ou la fortune à l’étranger. Treize histoires vraies est de la même veine. Nous ne les raconterons bien sûr pas toutes. Mais par son style enlevé, l’ouvrage se lit de bout en bout avec un égal intérêt !
Qui connaît la vie d’Ernest Perron, aide-jardinier genevois, ami intime du futur shah d’Iran Mohammad Reza Pahlevi, alors que celui-ci étudiait dans le très select collège du Rosey ? Puis cet homme du peuple devint le conseiller et un véritable « Raspoutine suisse » à Téhéran, avant de connaître la disgrâce. Outre cette histoire privée, voilà un petit résumé de l’histoire contemporaine de l’Iran, soumis aux influences des grandes Puissances, qui y avaient senti une bonne odeur de pétrole.
Quant à la révolte de Nidwald contre les troupes françaises, lesquelles avaient instauré en 1798 la République helvétique, elle est connue surtout par les massacres de civils qui accompagnèrent sa répression, et l’accueil des orphelins de Stans par Heinrich Pestalozzi. Mais sait-on vraiment que cette insurrection avait été instiguée par le clergé catholique réactionnaire ? Utile rappel historique de cet épisode tragique de l’histoire suisse, souvent détourné de son sens réel. Car les Français honnis et vus comme l’antéchrist apportaient l’égalité et la laïcité.
Le livre fait sa place au major Max Waibel qui en 1945, désobéissant à tous les ordres, contribua à hâter la reddition de la Wehrmacht en Italie du Nord, prévenant ainsi des horreurs supplémentaires. Nullement reconnu dans son pays, il fut au contraire blâmé pour cette initiative personnelle. Quant à l’aventure de Nova Friburgo, ce pseudo-paradis brésilien vers lequel la Suisse se débarrassait de ses pauvres, nous l’avons déjà abordée à propos du livre-BD d’Eric Burnand et Fanny Vaucher, Le Siècle de Jeanne.
Particulièrement intéressant est le chapitre « La trahison de Novare », une sanglante bataille qui eut lieu en 1500 pendant les guerres d’Italie. Au-delà de ce fait historique, Alex Capus montre une vision bien noire et nullement
« glorieuse » du mercenariat suisse à l’étranger, lequel rassemblait des
miséreux et des aventuriers incultes et brutaux, prêts à se vendre au plus offrant. « Pas d’argent, pas de Suisses ! » disait-on à l’époque.
Ephémère fut la gloire de Géo Chavez, le premier homme à survoler les Alpes de Brigue à Domodossola en 1910. Une aventure au terme de laquelle il perdit la vie à l’hôpital peu après son atterrissage. On a pu reprocher au canton du Valais et à sa toute-puissante Eglise catholique, d’avoir retardé ce vol car il tombait initialement un jour férié, mais fut différé au fatal 18 septembre de mauvais temps…
Passons sur le destin mieux connu du coureur automobile Louis Chevrolet (1876-1941), qui créa aux Etats-Unis la célèbre marque du même nom, mais fut spolié de sa création et mourut dans l’anonymat. L’Histoire est parfois cruelle avec les inventeurs !
Deux textes particulièrement émouvants closent ce livre. L’un est consacré à la terrible guerre des Paysans (1653), qui débuta à Lucerne et s’étendit au canton de Berne, et qui fut l’objet d’une atroce répression. Autre triste événement de l’histoire sociale de notre pays, la nuit d’émeutes du 26 juillet 1896 à Zurich contre les travailleurs italiens. A la xénophobie ordinaire, qui allait ressurgir de manière virulente à l’époque de l’initiative Schwarzenbach, s’ajoutait la crainte que les Tschinggen, comme on les appelait, ne fassent baisser les salaires.
Notons le fait que toutes ces histoires, écrites dans un style simple et accessible à tous, reposent sur une bibliographie solide, d’ailleurs présente en fin de volume.
Il vaut donc la peine de lire ce petit ouvrage, qui révèle notamment des pans de notre histoire nationale, minimisés ou occultés dans les livres scolaires officiels et dans la mémoire
collective.
Alex Capus, Treize histoires vraies, Genève et Bière
Ed. Cabédita, 2022, 135 p.