Burlesque Show par la Compagnie Céleste Talents au Casino Barrière de Montreux
Life is a cabaret, old chum

De décembre à février, le Casino Barrière à Montreux ouvre ses portes et sa scène au Show Burlesque mené par la Compagnie Céleste. L’occasion de (re) découvrir une branche des arts vivants encore trop méconnue, mais dont les codes et l’ambiance semblent on ne peut plus approprié à l’approche des fêtes et dans un monde qui a bien besoin d’un peu de divertissement.
Pour l’amateur de culture rompu au calme feutré des grandes salles de spectacle ou à l’ambiance joyeusement simple et bon enfant des petits théâtres de poche, l’entrée dans le Casino Barrière de Montreux a quelque chose de déroutant. Dès la porte tambour franchie, nous voilà presque aveuglés par tant de lumières, tant de faste, tant d’espace. Partout, les couleurs végasiennes du casino nous font immédiatement entrer dans un univers parallèle et peut-être pas celui où l’on penserait instinctivement trouver une représentation d’arts vivants.
C’est pourtant là que s’organise une nouvelle fois un spectacle de cabaret devenu, en ces fins d’année, une tradition qui se pérennise sur les bords du Léman. Dans ce contexte, le chroniqueur culturel, plus fin connaisseur de Racine et d’Ariane Mnouchkine que de Régine et de Christina Aguilera se demandera raisonnablement si là est bien sa place. Peut-être même se laissera-t-il pénétrer par certains stéréotypes qui collent dur comme fer à ce que, quoique le spectacle ait lieu à 19h30, on appelle encore le « monde de la nuit ». Un monde qui n’aurait de la culture que la première syllabe. Le bien-pensant néo-féministe pourrait même s’inquiéter de la mise en spectacle exagérée de ces corps féminins comme seuls objets de fantasmes masculins. Quant à l’intellectuel, il craindra de n’assister qu’à un vulgaire divertissement qui n’aura pas un instant la prétention de réchauffer ses méninges, en ces froides journées d’hiver où celles-ci risquent de s’engourdir.
C’est donc la caboche remplie de ces idées préconçues que nous passons outre les machines à sous et grimpons au premier étage où nous attendent déjà quelques cabaretières pleines de plumes et de froufrous. L’on sait alors déjà vers quel genre d’ambiance la soirée se dirige. Plus de place à la morosité extérieure, la Compagnie Céleste, puisque c’est elle qui est aux commandes de cette soirée, nous aspergera de suffisamment de paillettes, de couleurs et de pétales de roses pour nous distraire quelques heures d’une actualité déprimante. Vous avez dit kitsch ? Peut-être bien, mais le terme n’est pas forcément à prendre ici dans son sens le plus dénigrant.
De fait, si l’atmosphère qui règne dans la salle de La Baule n’a rien à voir avec celle d’une énième mise en scène de Britannicus à la Comédie-Française, ce n’est pas du tout là ce qu’on lui demande. Car le cabaret, et dans le cas présent, le burlesque, ne peuvent se résumer à l’étiquette de vulgaires sous-genre des arts vivants qu’on voudrait leur coller. Non, on comprend bien vite que c’est là un univers avec ses codes, et que ceux-ci ont tout pour s’adapter parfaitement à un repas-spectacle comme celui-ci. Et une fois l’entrée consommée, même l’amateur de culture un peu snob se prend à passer un bon moment devant les performances de ces artistes d’un genre encore bien peu connu.
On assiste ainsi à une performance au croisement du cirque, de la danse et du théâtre dans un registre qui se veut aussi exagérément assumé qu’assurément exagéré. Le fil rouge, qui suit une jeune artiste de cabaret dans sa route vers le succès, tient plus du prétexte qu’autre chose et l’on prend un plaisir certain à passer de tableau en tableau dans tant de scènes plus colorées les unes que les autres, à apprécier costumes, chorégraphies ou acrobaties. En trois parties entrecoupées d’entractes, les cabaretières et les cuisiniers parviennent à trouver un juste équilibre entre plaisir des yeux et plaisir du palais.
Quant à la crainte que les plus progressistes d’entre nous pourraient formuler sur une éventuelle chosification des corps féminins, on inviterait volontiers ceux-ci à venir se faire un avis. Car si, dans la plus pure tradition cabaretière, les artistes se retrouvent parfois dans des tenues plus légères, il semble limpide qu’il n’est pas là question d’en faire des simples objets de désir, mais qu’il y a là aussi une vraie démarche d’auto-appropriation et d’assomption de son corps, bien loin de l’imaginaire graveleux qui pourrait traverser les amateurs de rince-œil.


