Aux Léchaires, la surpopulation carcérale est bien loin
Aux alentours de Palézieux, l’établissement de détention des mineurs des Léchaires accueille une trentaine de jeunes, dont certains ont 18 ans révolus. Ici, la cohabitation est sereine et l’on n’est pas à l’étroit, contrairement à certaines prisons pour adultes vaudoises.


Ils sont une dizaine, dans la cour intérieure de l’établissement, à prendre l’air. C’est leur demi-heure de pause du matin. A l’établissement de détention pour mineurs Aux Léchaires, à Palézieux, les trente détenus vaquent à leurs occupations. Pour l’instant, ils sont loin des grandes mesures cantonales pour pallier la surpopulation carcérale. Parce qu’ici, dans cette prison à disposition des cantons latins, ils ne sont pas trop à l’étroit. Pour l’instant, en tout cas.
Chez les adultes, c’est plus compliqué. Début février, le conseiller d’Etat, Vassilis Venizelos, et son département de la sécurité présentaient les grands axes de leur stratégie à venir. Objectif : endiguer la surpopulation carcérale, fléau qui les poursuit depuis une vingtaine d’années. Une quarantaine de détenus seront envoyés hors-canton, à Fribourg notamment, et la capacité carcérale sera augmentée avec l’installation de nouvelles structures modulaires à Orbe. « On ne peut pas continuer à construire des prisons indéfiniment », admet le conseiller d’Etat. « Il nous faut à la fois des réponses sur le long terme pour pallier cette situation endémique, mais aussi des actions à très court terme pour donner de l’air au domaine de la détention. »
S’adapter aux vagues de besoins
Alors dans cet océan d’établissements surpeuplés, les Léchaires sortent du lot. La prison compte 36 places, mais n’accueille actuellement que trente jeunes. Pour comprendre le taux d’occupation du bâtiment, un bref retour en arrière est nécessaire.
Depuis son bureau au haut plafond, le directeur de l’établissement, Philip Curty, nous refait l’historique. Il le connaît bien, puisqu’il est là depuis le début. A son inauguration en 2014, les Léchaires étaient initialement prévus pour 36 mineurs. « Déjà à l’époque, il avait été compliqué de savoir combien de places prévoir. La demande était élevée, mais il y avait autant de gens qui disaient qu’on remplirait la prison que d’autres qui disaient qu’on la remplirait jamais. » Très rapidement, cependant, un constat s’impose : 36, c’est au-dessus de la demande. Les premières années, l’établissement possède en moyenne 15 places libres. Et tout autour, les prisons pour adultes commencent à étouffer. « Dans le contexte de surpopulation, on s’est dit qu’on allait partager la prison en deux avec 18 places pour des mineurs et 18 places pour des jeunes adultes de 18-25 ans mais qui sont en détention sous le droit pénal des adultes. Deux populations qui ne peuvent pas être mélangées ou seulement à certaines conditions. Donc à partir de 2016, on a dû gérer deux prisons en une. » Situation qui dure jusqu’en 2023, à partir de quand les besoins en places pour mineurs augmentent. Progressivement, des jeunes adultes sont transférés en prisons pour adultes, pour arriver à la situation actuelle de six places contre 30 pour mineurs, dont 24 actuellement occupées. « En 2024, c’est l’année atypique », continue Philip Curty. « On n’avait jamais eu autant de jeunes incarcérés depuis 2014. Dans l’évolution de la délinquance des mineurs, on sait que la tendance, aujourd’hui, c’est de commettre des délits plus graves et plus jeunes. » Une situation extrêmement versatile cependant. Grâce à ses contacts et une veille active, le Service pénitentiaire vaudois a toujours un œil sur les possibles besoins de demain. Une rixe entre jeunes et la situation change en un claquement de doigts.
Population multiple
La pause se termine, la demi-douzaine de jeunes qui profitaient du soleil aux côtés de leurs éducateurs et de deux agents de détention retournent à l’intérieur. Direction les ateliers protégés. Ici, deux d’entre eux écoutent un morceau de rap écrit par l’un de leur codétenu. Là, gravure sur bois. De l’autre côté, impression 3D. Uniformes rouges ou verts différencient le type de détenu. Rouge pour les mineurs, vert pour les jeunes adultes.
Si ces deux profils de population ne sont pas censés se côtoyer, concrètement, il est difficile de faire autrement aux Léchaires. Aujourd’hui, il s’agit du seul établissement où se côtoient non seulement mineurs et jeunes adultes, mais aussi ceux qui exécutent leur peine et ceux qui attendent un jugement (ces derniers forment deux tiers des jeunes des Léchaires). Ici, on trouve également filles et garçons, dans une proportion de 10 %-90 %, la même que chez les adultes. Une cohabitation mineur-adulte qui doit être approuvée au cas par cas par les équipes professionnelles, pour autant qu’elle ne compromette pas le bon développement du mineur. Pour Philip Curty, la limite des 18 ans est d’ailleurs très relative.
Brigandage en tête, les délits qui ont amené les détenus aux Léchaires sont à la fois tristement communs et diversifiés. C’est ça, plus que leur origine ou leur âge, qui pourrait creuser un fossé. « Il ne faut pas s’imaginer que les jeunes en détention sont des jeunes brutes de sang froid qui n’ont aucune émotion », explique le directeur. « On peut en avoir qui sont choqués, quand il y en a un qui arrive pour un crime très grave. Mais globalement, ça se passe plutôt bien. » En se promenant dans les couloirs, Philip Curty est appréhendé de toutes parts. Il lui faut presque une demi-heure pour traverser l’établissement, pas si grand que ça. Le lien est fort entre les détenus et le Fribourgeois de 56 ans, tombé dans la marmite du monde carcéral vers la fin de sa formation en psychologie. « Ça m’arrive d’être invité à manger dans une division par un jeune. Le directeur et le directeur adjoint sont des figures importantes pour eux. On exerce une autorité sans être autoritariste. C’est plutôt l’autorité du père, on va chercher un lien. S’il n’y a pas de lien, il n’y a rien. » Pour garder une distance nécessaire, des précautions restent de mise, notamment avec le vouvoiement. Les détenus sont appelés par leur Monsieur ou Madame, suivi de leurs noms de famille.
Aux alentours de midi, les détenus iront manger dans leur division autour de la grande table commune. Le soir, le repas se prend seul, chaque détenu dans sa cellule de 14 mètres carrés et plus. Des jours qui se suivront et se ressembleront pour ces jeunes tout au long de leur séjour, qui dure en moyenne 39 jours aux Léchaires. Un chiffre bas, car pour les jeunes, la justice pénale vise toujours davantage l’éducation que la privation de liberté. Histoire que l’espoir reste partie intégrante de leur futur.