Agriculture et crise…
Myriam Edward | Depuis quelques années déjà, on entend parler de crise… crise financière, crise dans le monde du travail, crise dans le monde agricole. En 2008, nous avons vécu une révolte au niveau paysan concernant le prix du lait… grève s’en est suivie, qui a permis à certains de découvrir que l’on pouvait trouver son lait directement à la ferme et également que l’on pouvait produire une quantité incroyable de produits dérivés du lait, comme la délicieuse confiture de lait par exemple. Mais le problème du prix versé aux producteurs de lait, n’a pas été résolu par cette grève… L’IP du lait a décidé de maintenir le prix payé au producteur à 65 centimes par kg de lait. Il y a quelques temps, la Coop a décidé de payer 3 centimes de plus par kg de lait… c’est un pas en avant, mais que représentent 3 centimes?
Mettons-nous un instant dans la peau de l’agriculteur pour comprendre le travail qu’il y a derrière pour pouvoir fournir un litre de lait… Lever à 5 heures du matin et ce chaque jour de la semaine, car les vaches n’ont pas de week-end. Après la traite, il faut aller couler le lait puis vaquer aux tâches de cultures, récoltes, entretien des machines et écuries, qu’il pleuve, neige ou fasse soleil. Et tout ça, sans parler de maladies, vêlages qui ne se passent pas toujours bien, etc. 17 heures, à nouveau la traite puis le coulage et vers 19.30 heures… on peut plus ou moins considérer la journée comme terminée (en dehors des temps de foins, moissons, récoltes, etc… – car dans ces périodes-là, le travail se termine bien plus tard quand il fait nuit). Au bas mot: 14,5 heures de labeur par jour au minimum. Personnellement, je comprends parfaitement que l’USP et les producteurs de lait ne soient pas contents et appellent au boycott de certains grands magasins… mais est-ce vraiment la seule solution? Des milliers de paysans avaient pris part au mouvement de grève de 2008 dans tous les cantons romands, affichant une détermination et une solidarité impressionnante… Aujourd’hui, le paysan suisse n’a plus que l’espoir d’un réveil de raison de la population au travers des urnes lors des prochaines votations.
On nous parle d’une pénurie de beurre en France… et en Allemagne. Certaines voix laissent entendre que nous pourrions avoir le même problème en Suisse… Oui, le beurre revient en force dans nos assiettes pour le plus grand bonheur de nos papilles gustatives, mais cela ne veut pas dire que nous ayons une pénurie de beurre. D’ailleurs avec cette excuse-là, les prix de celui-ci ont augmenté dans certains magasins… mais la différence ira-t-elle aux producteurs de lait? Nous savons bien que non… Si l’on observe un peu ce qui se passe autour de nous, nous nous rendons compte qu’environ mille exploitations agricoles disparaissent chaque année en Suisse. De plus en plus d’agriculteurs passent des vaches laitières aux vaches allaitantes… La crise est bien là, car de plus en plus d’agriculteurs ne gagnent plus leur vie, malgré un travail ardu et pénible, ils s’enfoncent dans des dettes qu’ils ne pourront jamais rembourser… conséquence, la faillite frappe bon nombre d’entre eux!
Et notre gouvernement dans tout ça… avec les déclarations faites le 1er novembre par Johann Schneider-Amman concernant la nouvelle stratégie de politique agricole du Conseil fédéral, il y a de quoi s’inquiéter! L’idée serait d’ouvrir plus nos frontières aux produits agricoles dès 2022, d’intensifier les échanges et de réduire la protection douanière… Quand on sait qu’en France un producteur de lait ne reçoit que 30 centimes d’euros (env. 40 centimes de nos francs) et que l’argent est la base dans toutes les décisions stratégiques, que deviendront nos agriculteurs? Je pense sincèrement qu’il est de notre devoir à chacun d’agir où nous le pouvons pour soutenir notre agriculture et nos produits locaux. Un lait acheté à la ferme n’a rien à voir avec un lait en brique… le goût, la texture et ce qu’il renferme ne se retrouvent absolument pas dans un lait en boîte!
Nous payons en moyenne Fr. 1.20 notre litre de lait dans les grands magasins… Ne devrions-nous pas plutôt payer Fr. 1.20 à l’agriculteur directement et avoir en plus le bénéfice de tous les éléments nutritionnels qui disparaissent lors du traitement du lait pour une meilleure conservation ? Oui, cela implique quelques contraintes pour nous… aller plus souvent acheter le lait, car il ne se gardera pas aussi longtemps qu’en brique. Mais ça en vaut la peine! Il en est de même avec les fromages… nous trouvons de nombreux fromages français, belges ou d’ailleurs dans les étals des grands magasins… mais un petit détour à la fromagerie du village, qui fabrique avec le lait des producteurs locaux, nous permet de découvrir des fromages excellents et variés bien de chez nous.
Pour les légumes, si nous prenions l’habitude d’utiliser les légumes de saison… nous soutiendrions aussi notre agriculture, car notre pays en produit une grande quantité et il est tout à fait possible de varier nos assiettes d’une saison à l’autre et de se faire plaisir avec des produits locaux… et de plus, nous faisons un geste pour la planète plutôt que de faire venir des légumes et des fruits d’outre-mer par avion ou bateau! A tous les niveaux, nous pouvons tous nous engager pour soutenir notre agriculture suisse. De par nos choix d’achats, de par notre engagement lors des votations et en analysant la situation avec un esprit lucide et objectif. Tâchons d’être attentifs à ce qui se passe et ne nous laissons pas «berner» par des propos lancés à tout va dans les media. Chacun d’entre nous a une responsabilité envers nos agriculteurs et notre production locale.


