Abbaye des fusiliers
J.-F. Parisod, pour le Conseil de l’Abbaye des fusiliers de la paroisse de Villette | Avec l’arrivée du printemps les tireurs commencent à avoir l’œil qui frétille et de sérieux fourmillements au niveau de l’index ! Il est temps de dégraisser nos canons ! Comme chaque année depuis plus de 305 ans, les membres bourgeois de notre Abbaye des fusiliers de la paroisse de Villette vont se retrouver dans la joie et la bonne humeur autour de leurs cibles préférées. Quel chemin parcouru depuis le premier tir qui s’effectuait sur un oiseau en papier à 50 m, à la création de notre abbaye. Toutes ces années d’évolution ont permis d’arriver, en 2016, à viser à plus de 300 m sur des cibles électroniques !
Fidèles héritiers des tireurs émérites des anciennes milices vaudoises de la République de Berne, nous sommes toujours intéressés à fouiller nos inestimables archives et à pouvoir donner ainsi quelques renseignements et explications sur la vie et la sécurité de notre belle région de Lavaux, et plus particulièrement durant la période du 18e siècle. En effet le site du Signal de Grandvaux a attiré toute notre attention et notre curiosité.
Revenons quelques centaines d’années en arrière. Le système de défense, à cette époque, reposait aussi sur un système de soldat de milice. La Confédération d’alors, et le Canton de Berne surtout, ne disposaient pas d’armée de métier, et celle-ci comptait beaucoup sur ses milices du Pays de Vaud. Mais comment informer sa population et ses citoyens soldats d’une menace surprise et rapide à l’encontre de son territoire ? Il faut prendre en compte qu’il n’y avait pas, comme aujourd’hui, de radars, de téléphones voire de sirènes d’alarme, ou de radios à disposition.
En 1734 déjà, un ingénieux système de «feu d’alarme» (signaux) fut développé sur tout le territoire de la République de Berne. A cette époque, on comptait 146 «signaux» dont 67 rien que dans le Pays de Vaud. Il s’agissait du plus grand réseau de l’ancienne Confédération. Construits selon un modèle standard, ces signaux étaient situés bien évidemment sur des points élevés et dégagés du relief. Un croquis ci-dessus nous décrit précisément la situation.
On érigeait un faisceau de trois troncs d’arbre de 12 mètres (1) entre lesquels était construite une plateforme (2) sur laquelle était empilé le bois à brûler (3). Un espace central dégagé faisait office de cheminée (4) et le tout était recouvert de paille. Si l’alarme devait être donnée de jour, on conservait un tas de bois vert (6) à proximité, afin de produire de la fumée. Un instrument de visée (7) permettait d’apercevoir les flammes des feux les plus proches et d’éviter ainsi les fausses alertes si un objet quelconque prenait feu aux environs d’un «signal». En complément, l’alerte pouvait être donnée au moyen de fusées (8) et de tirs de mortier (9). En période de tensions et de crises, les feux d’alarme étaient surveillés et entretenus par un détachement (10) logé dans une cabane construite à proximité (11).
Il est intéressant de souligner qu’en 1991, lors du 700e anniversaire de la Confédération, afin de montrer la collaboration entre les cinq cantons du plateau suisse (VD-FR-BE-AG-SO), un projet de reconstruction du réseau de feux d’alarme de l’époque fut réalisé. On construisit au niveau du réservoir des Crêts, sur les hauteurs de Grandvaux, un authentique «signal d’alarme» grandeur nature (voir photo ci-dessous). Les sapeurs-pompiers de la commune, maîtres d’ouvrage, avaient allumé cet impressionnant bûcher un vendredi soir de mai, par une belle soirée chaude et estivale. Ils complétaient ainsi les 150 feux embrasés selon un ordre précis, de la périphérie vers le centre, soit la cathédrale de Berne, en formant ainsi une croix suisse symbolique.
Après ce rappel historique, témoin d’une Suisse d’alors toujours soucieuse de sa sécurité, il n’est plus nécessaire, de nos jours, d’allumer un feu d’une telle envergure pour «alarmer» nos membres tireurs, les vendredi 29 et samedi 30 avril 2016 prochains ! Car nos confrères ont déjà tous réservé ce merveilleux moment où ils seront réunis, au stand de la Bedaulaz à Forel, pour se confronter, jeunes et vieux, dans l’amitié et l’amour du tir de précision.
Ce week-end sportif qui s’annonce, avec nos amis tireurs des Abbayes de Forel et du Cordon vert et noir, nous réjouit déjà et nous serions très heureux de nous retrouver ainsi dans la bonne humeur et la fraternité.