La petite histoire des mots
Huer

La scène a choqué une partie de l’opinion publique : la semaine dernière, en quittant la salle du Grand Conseil vaudois, plusieurs députés de droite ont été copieusement chahutés, sifflés et hués, et certains bousculés, par des manifestants de la fonction publique qui protestaient contre les restrictions budgétaires annoncés par le camp bourgeois. Des menaces ont même été proférées.
Selon le dictionnaire, le verbe « huer » signifie « pousser des cris de dérision ou des cris hostiles » à l’endroit de quelqu’un ou d’un groupe de personnes. Dans notre langue, ce verbe est attesté dès le XIIe siècle. Mais à cette époque, « huer » n’avait pas tout à fait le même sens. Il signifiait pousser des cris en poursuivant un animal. On disait alors « huer le loup ! », par exemple.
« Huer » est en fait un dérivé de l’onomatopée « Hu ! », un cri que les chasseurs médiévaux poussaient pour exciter leurs chiens et effrayer ou rabattre le gibier. On retrouve d’ailleurs ce cri, à la même époque, chez les charretiers, dans le but de stimuler leurs chevaux. On le connaît de nos jours sous la forme « Hue ! ».
C’est à partir du XIVe siècle que ce cri s’est aussi appliqué aux clameurs de mépris et d’hostilité à l’endroit d’un dirigeant, d’un orateur ou d’une troupe de théâtre. Celle de Molière, par exemple, a été « huée » à plus d’une reprise, notamment lors de la représentation de certaines pièces qui ont suscité la controverse. Ce fut le cas de la comédie « Amphitryon », jouée pour la première fois en 1668 et qui, à travers la mythologie et les relations adultérine entre un dieu et une mortelle, se voulait une critique des normes sociales de son temps.
L’onomatopée « Hu ! » nous a aussi donné le substantif « huée », le plus souvent utilisé au pluriel pour désigner les cris de réprobation, ainsi que – moins connu – le mot « huage » qui, dans le jargon des chasseurs, désigne justement l’action de « huer », afin de rabattre le gibier, ou même le poisson, dans le cas des pêcheurs. A ne pas confondre avec « houage », un terme agricole qui s’applique à l’action de travailler la terre avec une houe. Le nom de cet ancien outil agricole nous vient du vieux francique – la langue germanique disparue des Francs – « hauwa » qui voulait dire « pioche ».
Pour terminer, notons encore que le verbe « huer » ne s’applique pas seulement aux cris de réprobation, ceux des manifestants de la fonction publique vaudoise, notamment, mais aussi, en zoologie, à l’ululement de certains volatiles nocturnes comme le hibou ou la chouette. Il est vrai que les « houuuu houuuu… ! » diurnes des premiers ne sont pas, pour l’oreille, très éloignés des « hou hou » nocturnes des seconds… Sinon peut-être par leur intensité.


