FUORI de Mario Martone

Il est rare de voir des vies de personnages publiques adaptées en film sans ressentir en permanence le regard anachronique de l’adaptation. Dans Fuori, Mario Martone se détache magistralement du poids du passé pour aller avec originalité au cœur d’une histoire singulière, celle de Goliarda Sapienza.
Après la prison
Quand Mario Martone doit donner le sujet de son film Fuori, il décrit « un été traversé par deux amies qui se sont rencontrées en prison et qui se laissent aller à une dérive presque enchantée ». La réussite du film de Martone tient peut-être à la période de la vie de l’écrivaine et actrice Goliarda Sapienza (Valeria Golino) qu’il choisit de développer : plutôt que de se concentrer sur les vaines tentatives de l’autrice de publier son œuvre désormais canonique « L’art de la joie », il décide de se focaliser sur ce qui arrive ensuite : un vol désespéré de bijoux qui emmène l’écrivaine en prison, et surtout sur la sortie de cette dernière du milieu carcéral. Alors que Galiorda a perdu ses repères et son statut social, elle continue de fréquenter ses camarades de cellule.
Le dehors et le dedans
Le temps d’un été, Goliarda arpente Rome aux côtés de Roberta (Matilda De Angelis, tête d’affiche en 2021 du film « Atlas » du réalisateur suisse Niccolò Castelli). Les deux femmes font pleinement usage de leur liberté recouvrée. Elles posent avec amour et attention leurs regards sur la ville, tout en parlant sans cesse de Rebibbia, la prison pour femmes qu’elles viennent de quitter. Le dehors du titre (« fuori », crié par toutes les détenues à l’occasion d’une scène magistrale), et le dedans de la prison sont ainsi sans cesse construits en parallèle. Le montage use de flashbacks pour raconter ce qui a mené Goliarda en prison, puis comment la cellule est devenue le noyau de la présente amitié. En juxtaposant les temporalités, c’est aussi un lien entre le dehors et le dedans qui est dessiné, relayé par les dialogues des anciennes détenues.
L’amitié au cœur de l’écriture
A une seule occurrence, aux trois-quarts du long-métrage, Gardiola se confie à son mari (qui apparait subitement pour mieux disparaitre). Dans cette petite séquence d’apparence légère se déploie le point de vue magnifique de l’écrivaine sur ce qu’elle est en train de vivre : « Quand je suis avec mes camarades de cellule, j’ai encore l’impression d’être à l’intérieur de la prison. Avec ces femmes à Rebibbia, je ressentais une liberté incroyable. Elles sont dedans même quand elles sont dehors. Elles en sortent jamais, tu comprends. Alors quand je suis avec elles je m’y sens encore, libre ». En quelques mots, c’est la réalité sociale de femmes qui font des allers-retours en prison qui est révélée, et en même temps le point de départ de l’œuvre à suivre. A l’issue de cet été partagé avec Roberta dans les rues de Rome, d’un whisky on the rocks à l’autre, Goliarda se réconcilie avec son rôle d’autrice. Si elle y retrouve un sens, c’est grâce à ces nouvelles amitiés, qui lui permettent de relayer d’autres voies que la sienne dans son travail. De cette expérience fascinante, elle écrira « L’université de Rebibbia » et « Les certitudes du doute », qui thématisent son expérience d’incarcération et la place de la prison dans les sociétés contemporaines. Le film met dès lors avec force et intelligence l’amitié au cœur et à la source d’une réflexion politique.
« Fuori »
Fiction, Mario Martone, Italie, 2025,
117’, VOSTFR, 16/16 ans
Au cinéma d’Oron dès le 3 décembre




