C’est à lire
Les lacs dans le monde, frontières ou liens ?

Daniel de Roulet vient de publier un livre fort intéressant, qui tient à la fois du récit de voyage, de l’information géographique et historique, ainsi que de l’œuvre littéraire. En de nombreuses expéditions, l’auteur a parcouru les lacs des divers continents appartenant à deux ou plusieurs pays, en essayant à chaque fois d’en faire le tour, à pied ou en bateau. Cela pour tenter de répondre à une question : les lacs constituent-ils une séparation ou unissent-ils les peuples ? Une question qu’on s’est déjà souvent posée à propos des mers. Par exemple, la Méditerranée, mare nostrum des Romains, unissait les sujets de l’Empire, notamment par l’implantation architecturale. Ils conservaient cependant leur langue, leur religion, leurs us et coutumes. La Méditerranée jouait donc un rôle ambivalent.
L’auteur commence par le Wannsee dans l’Allemagne aujourd’hui réunifiée, mais qui fut longtemps une barrière infranchissable entre la RFA et la RDA. Par ailleurs, ce lac paisible, qui invite les Berlinois à la baignade, est aussi associé à une monstrueuse conférence des chefs nazis en 1942, celle qui décida de la « solution final » du « problème juif ». Puis Daniel de Roulet s’intéresse à des lacs asiatiques peu connus, où s’opposent intérêts russes et chinois. Un des chapitres les plus intéressants du livre concerne les Grands Lacs americo-canadiens. Il trace un portrait impressionnant des désastres écologiques et de la pollution. Dans cette région ne subsistent souvent – comme dans la ville de Detroit – que des ruines rouillées d’usines autrefois prospères. La conscience écologique traverse d’ailleurs tout l’ouvrage, offrant une image très sombre des massacres de la nature dont l’homme est responsable.
Le récit de Daniel de Roulet s’accompagne aussi de souvenirs littéraires (par exemple Stendhal à propos des lacs de Lombardie), voire cinématographiques. En évoquant le lac Peïpsi (Peipous), il nous rappelle les images extraordinaires du film Alexandre Nevski d’Eisenstein, notamment la charge des chevaliers teutoniques sur le lac gelé, rythmée par la musique très suggestive de Prokofiev. Cette bataille mythique se déroula en 1242.
L’auteur termine son livre sur une note plus intime, car sa redécouverte à pied du pourtour du lac Léman s’est accompagnée d’une histoire sentimentale avec celle qui fut sa compagne dans ce périple. Le livre est bien écrit, car Daniel de Roulet est un écrivain de talent (connu notamment par son cycle de romans consacré au nucléaire, de la fabrication de la bombe d’Hiroshima à nos jours). Comme on l’a vu, il peut se lire à plusieurs niveaux, que l’on s’intéresse en priorité à l’aspect géographique ou politique, aux rencontres de l’auteur avec les habitants des bords de ces lacs ou à ses descriptions parfois apocalyptiques de la dégradation de la nature par la surpêche, les produits chimiques ou les résidus industriels. Juste un bémol : l’absence de cartes qui permettraient de situer instantanément les nombreux lacs dont il est question.

Daniel de Roulet, Frontières liquides.
Journal de lacs, éd. Phébus/Libella, Paris 2025, 288 p.


