Lutry – Terres de Lavaux en difficulté : « Nous devons repenser notre rôle et assainir nos finances »
Des rumeurs de liquidation agitent la région depuis plusieurs semaines. Certains observateurs affirment que la cave Terres de Lavaux SA, à Lutry, serait au bord du gouffre, notamment après la décision de ne pas encaver la récolte 2025. Sa présidente, Cindy Freudenthaler, dément toute faillite imminente mais reconnaît des difficultés économiques et une période d’incertitude. Rencontre.

Le Courrier : Pouvez-vous nous dire d’où partent ces rumeurs de faillite imminente et ce qui, selon vous, les alimente ?
Cindy Freudenthaler : Non, Terres de Lavaux n’est pas en faillite et ne fait pas face à une faillite imminente. Ces rumeurs viennent sans doute de la décision que notre conseil d’administration a dû prendre en mai 2025 : celle de ne pas encaver la récolte 2025. C’était une décision difficile à prendre, mais nécessaire. Nous avons préféré informer nos fournisseurs et nos actionnaires le plus tôt possible, plutôt que de leur promettre un achat de raisin que nous n’aurions peut-être pas pu payer dans de bonnes conditions et qui aurait augmenté la dette de l’entreprise.
Dans le monde viticole, les rumeurs sont fréquentes et certaines personnes ont mal interprété ce message. Ne pas acheter de raisin une année ne signifie pas que l’entreprise s’arrête.
Votre entreprise, active depuis plus d’un siècle, a toujours misé sur la qualité du terroir et des cépages. Quelles sont aujourd’hui les grandes difficultés que vous rencontrez ?
Le secteur viticole traverse plusieurs changements : baisse de consommation, concurrence étrangère importante, hausse des coûts, changement climatique pour nos fournisseurs (vignerons) et besoin d’innovation constant. A tout cela, il faut ajouter que la viticulture n’est pas une industrie flexible, car une vigne met au minimum quatre ans à produire. On ne peut pas « changer de collection » chaque année comme dans la mode. C’est un secteur qui demande patience et stabilité, ce qui rend toute turbulence économique difficile à absorber.
Si l’on met de côté la rumeur de faillite, quel est l’état réel de vos comptes et de votre trésorerie ?
Nos comptes sont suivis régulièrement, avec des points mensuels et un contrôle strict du flux financier. La situation est fragile. Terres de Lavaux est fortement endettée, et nous devons assainir nos finances le plus rapidement possible pour garantir un avenir viable. En renonçant de vinifier le millésime 2025, nous avons aussi voulu protéger nos employés (3 postes à temps plein) et ne pas promettre l’impossible à nos fournisseurs.
Les chiffres complets figurent dans notre rapport de gestion transmis à nos actionnaires.
Comment expliquez-vous que, dans un paysage viticole aussi emblématique, une cave comme la vôtre se retrouve sur la sellette ? Y a-t-il des vulnérabilités propres à Lutry ?
Lutry est un territoire complexe, car certaines vignes sont enclavées dans des zones bâties, d’autres classées au patrimoine mondial de l’Unesco.
Cela crée des contraintes, mais aussi des opportunités. Certaines parcelles peuvent évoluer vers d’autres formes d’exploitation, ou vers une production différente. Nous voyons également la proximité avec Lausanne comme un atout, mais aussi comme un défi, car le rapport à la consommation de vin n’est pas le même qu’en Lavaux. Nous devons nous adapter à ces changements, sans renier notre identité locale.
Si la faillite devait se confirmer, quelles seraient les conséquences pour vos fournisseurs et vos employés ?
Une faillite serait la pire des issues. Tout serait décidé par un juge, et plus par ceux qui connaissent le terrain. En n’achetant pas de raisin 2025, nous avons choisi une autre voie. Celle d’assainir les finances, d’honorer nos dettes et de maintenir nos emplois.
En mai, notre décision de ne pas encaver visait justement à protéger tout le monde : l’entreprise, les fournisseurs et le personnel.
Quelle est votre vision pour Terres de Lavaux dans les années à venir ?
Nous avons commencé à sonder nos actionnaires cet automne pour réfléchir ensemble à la suite. Notre priorité est de continuer à valoriser notre production, renforcer la vente directe et cultiver le lien avec notre clientèle. Cela dit, la période reste pleine d’incertitudes. Terres de Lavaux doit repenser en profondeur son rôle et assainir ses finances avant de pouvoir envisager un nouveau départ, ou le cas échéant, de mettre fin à son histoire.
Il n’y aura probablement pas d’encavage l’an prochain non plus, et ce sont les actionnaires qui auront le dernier mot sur l’avenir de l’entreprise.


