La Chronique de Denis Pittet
Un dimanche de valeur (locative)

Le moins que l’on puisse dire sur la votation fédérale de dimanche dernier 28 septembre, c’est qu’elle aura fait couler beaucoup d’encre et prendre de nombreuses prises de position, faute de certitudes. L’abrogation de la valeur locative (même si on ne votait pas directement sur cela, on va y revenir) et l’e-ID sont devenus des objets de vote presque affectifs, faute de les comprendre. Et le débat – en fait deux discours opposés provenant souvent des mêmes partis – sur la valeur locative est devenu un vrai calvaire.
Il y a des signes qui ne devraient pas tromper. Lors-qu’un objet soumis au vote met 7 ans pour arriver sur le tapis (même davantage en réalité) ce n’est jamais bon. Et lorsqu’on doit répondre à une question qui ne reflète plus le véritable enjeu, alors cela frise la correctionnelle. On nous a donc proposé de supprimer un impôt en nous suggérant d’en créer un autre, dont personne à ce jour ne sait de quoi il sera fait, ni quand, ni comment. Les miracles n’existent pas. La valeur locative supprimée entraînera des pertes fiscales estimées entre 1,5 milliard et deux milliards. On peut faire confiance aux politiques pour trouver un moyen rapide de les récupérer. C’est un côté particulièrement désagréable du résultat du vote de dimanche : personne ne sait ce qui va se passer. Les Suisses ont été pris en otage. En acceptant le principe d’une baisse d’impôts, ils ont accepté une hausse d’impôts. Pire : si la manne des résidences secondaires ne suffit
pas à combler le manque à gagner, le législateur risque de frapper ailleurs.
On ne sait désormais pas si les Suisses sans valeur locative seront des Suisses plus heureux. Mais un risque objectif résultant de la nouvelle donne paraît évident : le parc immobilier sera moins bien entretenu. Dans les deux ans à venir, on va rénover à tout va, puis cela se calmera. Sur le très long terme, personne ne sait ce qui se passera. L’argument avancé par les partisans de la réforme, à savoir que l’argent économisé grâce à la suppression de la valeur locative sera systématiquement mis de côté pour des rénovations peut être mis très sérieusement en doute.
Les Suisses allemands (bonjour Röstigraben) voyaient leur valeur locative indexée plus régulièrement qu’en Suisse romande. A cause de cela, on pouvait s’attendre à ce résultat. Paradoxe tout de même de constater que 100 % des Suisses ont voté sur un objet concernant directement aujourd’hui un petit 40 % de la population. Cela n’est pas un débat d’idée, c’est un débat fiscal.
La valeur locative était ancrée dans les esprits dès les années 1880, de manière globale dès 1934 (droit d’urgence exercé par le Conseil fédéral pour fixer une taxe de crise). Elle a toujours suscité des discussions mais sans fracas durant des dizaines d’années. On pourrait presque dire que le système ronronnait tellement il était ancré. On mesure sans doute mal le sacré coup de bâton qui vient d’être donné dans cette fourmilière suisse. Un dernier mot sur ce sujet : taxe de crise au départ, la valeur locative a fini ancrée dans le système. L’impôt fédéral direct, créé en 1915 de manière provisoire pour couvrir les dépenses fédérales de guerre est lui aussi un impôt provisoire, certes reconduit par le peuple en 2018. Quitte à lancer des réformes fiscales majeures, on devrait aussi s’interroger sur cet impôt.
La votation sur l’e-ID aura donc, quant à elle, tenu toutes ses promesses en termes de suspens. 21’000 voix d’écart ne permet aucun triomphalisme. Le fait que la future e-ID soit une émanation étatique aura sans doute fait pencher la balance. La future e-ID facultative ? En théorie sans aucun doute. En pratique, ce sera une autre histoire. Peut-on arrêter un train en marche ? Lorsqu’on voit le nombre de choses que l’on fait avec nos smartphones aujourd’hui, on peut en douter : essayez de prendre un avion sans votre natel… Quant à la sécurité informatique absolue, il est tout aussi absolument certain qu’elle n’existe pas. Affaire à suivre.
Les Vaudoises et Vaudois ont refusé l’initiative « Sauvons le Mormont » jugeant probablement à juste titre inutile de modifier la Constitution dans ce but. L’inscription du Mormont dans la loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager a paru suffisante. Le contre-projet adopté par le Grand Conseil visant à introduire la notion d’économie circulaire dans la Constitution a été accepté par 67 % des votants.
L’économie circulaire est incontournable. On peut juste s’interroger ici sur la manière de faire entrer cette notion dans la Constitution. C’est un peu l’occasion qui fait le larron. L’article 56a (nouveau) de la Constitution est volontairement rédigé en termes très généraux. C’est l’essence d’un article constitutionnel. Reste à attendre quel usage sera fait de ce nouvel article, donc de connaître les interprétations politiques quant à ce dernier. On pourrait être surpris.
Pas de surprise en revanche quant à l’acceptation de la modification de la Constitution pour permettre d’atteindre le quorum à 5 % pour les listes apparentées. Avec effet dès 2026 (élections communales, donc) pour le système proportionnel. Le nombre de voix non prises en compte diminuera et permettra de valoriser les suffrages exprimés. Cela devrait surtout avoir un effet stimulant sur la vie politique et permettre d’inventer de nouvelles alliances même si le nombre de listes risque d’augmenter, sans exploser espère-t-on…
Enfin, la facilitation de l’accès aux droits politiques communaux pour les étrangères et les étrangers est refusée à 54 %. On en reste donc à 10 ans de résidence ininterrompue en Suisse dont 3 ans dans le canton avant d’être éligible. Pour rappel, le débat au Grand Conseil avait été très serré, 3 voix seulement séparant les partisans de la modification de leurs opposants. Il faut sans doute voir le résultat de dimanche dans ce vote de 2024 au Grand Conseil.