Opinion
Des impôts équitables ?

Lionel Noguera | Oui à des impôts équitables » est un slogan qui fait se lever le sourcil du fiscaliste, l’impôt équitable étant le plus souvent celui que l’autre paie (et pas moi). C’est d’autant plus vrai dans une réforme conçue, comme celle-ci, sans perte de recettes fiscales.
Tentons alors de mettre les choses en perspective, dans le cadre du système fiscal actuel. L’imposition de la valeur locative chez le propriétaire n’est pas une exclusivité suisse. D’autres pays taxent un tel revenu fictif estimé (parfois appelé « revenu cadastral »), à l’impôt sur le revenu (Luxembourg, Pays-Bas) ou par un impôt spécial (précompte immobilier, Belgique). Elle se base sur la même idée que l’impôt sur la fortune, dite théorie des « revenus fondés » : celui qui est propriétaire de biens significatifs devrait pouvoir en tirer un revenu. Qu’il le fasse ou pas est son choix, mais dans tous les cas cette situation justifie une imposition minimale.
L’imposition de la valeur locative tend ainsi à une égalisation du traitement fiscal entre locataires et propriétaires. Au sein des propriétaires, la déductibilité des frais d’entretien et intérêts hypothécaires tient compte de la différence de situation marquée entre de jeunes primo-acquéreurs très endettés et l’héritier d’un bien franc de dettes, ainsi que de l’âge des constructions.
Le système existant est donc, par construction technique, assez juste car apte à bien prendre en compte la diversité des situations individuelles. Il peut mériter ici et là certes quelques touches de réflexion ou de modernisation mais globalement il n’est pas confiscatoire, et il frappe tous les immeubles en occupation propre ou inoccupés, résidences secondaires ou principales.
L’accusation selon laquelle il inciterait à l’endettement ne concerne, à notre avis, que les contribuables très fortunés, et encore sous réserve d’un calcul individuel. Tous les autres doivent s’assurer que leurs revenus à l’âge de la retraite ne deviendront pas inférieurs à ceux requis par leur banque pour le maintien du crédit, permettant de toujours faire face à un taux théorique de 5 %, ce qui est un fort incitant à l’amortissement du crédit… ou à la poursuite de l’activité professionnelle.
Les promoteurs de la réforme veulent, à la place de la taxation de la valeur locative, un impôt spécial sur les résidences secondaires et la suppression de la déductibilité de tous les intérêts débiteurs (pas seulement hypothécaires, attention !) et des frais d’entretien.
Pour le propriétaire d’une résidence secondaire, l’impact est impossible à estimer car l’impôt spécial sera cantonal. Il pourra être plus lourd que la taxation actuelle de la valeur locative, la réforme étant conçue comme une exception au principe de la capacité contributive. Un peu comme si celui qui possède deux voitures devait payer plus cher l’essence et les taxes de la seconde.
Celui qui ne possède pas de résidence secondaire ou d’immeubles donnés en location peut se rendre compte approximativement de l’impact de la réforme en reprenant sa déclaration fiscale aux lignes qui en seraient supprimées (notamment codes 500, 540 et 610 de la déclaration vaudoise).
Chez les primo-acquéreurs, ou dans l’immobilier ancien, les déductions peuvent assez facilement dépasser la valeur locative imposable. De ce point de vue, la jeune famille modèle au centre des affiches du « Oui » n’est peut-être pas une représentation exacte des principaux bénéficiaires de la réforme, à moins qu’elle n’ait pas de dettes !