Médiation
La cuisine qui mit le feu aux poudres

Quand Claire et Julien ont acheté leur appartement, ils s’imaginaient déjà y recevoir leurs amis autour d’un dîner. La cuisine, cœur de leur futur logement, devait être la pièce phare du projet. Sur les plans de Marc, l’architecte, elle apparaissait élégante et lumineuse, mais le rêve s’est vite assombri lorsque, quelques mois après la remise des clés, les malfaçons sont devenues évidentes.
Laurent Damond, avocat | Les tiroirs ne fermaient pas correctement, le plan de travail gondolait et les finitions laissaient apparaître des traces de colle. « Nous avons payé un prix conséquent pour un résultat qui ressemble à une installation de seconde main », se plaignait Julien. Claire, plus émotive, ajoutait : « Chaque fois que je prépare un repas, je ressens colère et tristesse ».
Le couple avait tenté de contacter directement la société La Plaque de cuisson SA, en charge de la réalisation de la cuisine. Antoine, le cuisiniste, se défendait : « Nos délais étaient serrés et nous avons respecté les indications reçues. Les défauts que vous mentionnez relèvent surtout d’une usure normale ». Une réponse qui avait mis de l’huile sur le feu.
L’architecte, de son côté, reconnaissait à demi-mot que sa présence sur le chantier avait été sporadique. « J’avais plusieurs projets en parallèle et j’ai fait confiance à l’artisan », expliquait-il. Une confiance que Claire et Julien considéraient comme une démission pure et simple de son rôle de maître d’œuvre.
La situation semblait bloquée, jusqu’au moment où les trois parties ont accepté de se retrouver en médiation. C’est à ce stade que j’ai été sollicité. Mon rôle était d’offrir un cadre où chacun puisse exprimer sa colère, ses attentes et surtout entendre celles des autres.
Dès le début de la séance, la tension était palpable. Claire reprochait au cuisiniste un travail bâclé, le cuisiniste renvoyait la responsabilité à l’architecte, et l’architecte plaidait le manque de moyens. Mais la médiation n’est pas qu’un lieu de confrontation, c’est un espace de transformation. Je leur ai demandé de préciser non seulement leurs griefs, mais aussi leurs besoins véritables.
Julien et Claire souhaitaient avant tout retrouver de la sérénité dans leur nouveau foyer, sans se lancer dans une longue procédure judiciaire. Le cuisiniste voulait protéger la réputation de son entreprise et éviter des frais disproportionnés. Marc cherchait une issue qui ne ternisse pas son image d’architecte, déjà mise à mal.
A mesure que les échanges progressaient, j’ai recentré la discussion sur l’avenir plutôt que sur le passé. De là, une piste commune a émergé, La Plaque de cuisson SA s’engagerait à reprendre certains éléments de la cuisine, notamment le plan de travail et les tiroirs. L’architecte, de son côté, assumerait une partie du coût de ces reprises, reconnaissant son manque de suivi. En contrepartie, Claire et Julien renonceraient à réclamer une indemnité plus large.
L’accord répondait à l’essentiel. Claire souffla : « Ce n’est pas la cuisine de nos rêves, mais au moins elle sera enfin utilisable ». Le cuisiniste, un peu crispé, admit : « C’est mieux que d’aller au tribunal ». L’architecte, soulagé, conclut : « Je vais être plus attentif à mes prochains chantiers ».
En tant que médiateur, j’ai pu constater une fois encore combien cette démarche permet d’améliorer des situations apparemment inextricables. La médiation ne gomme pas les blessures, mais elle transforme la colère en engagement concret, et ouvre un espace où les solutions deviennent possibles.