Au cœur de Lausanne à la découverte de femmes artistes
Exposition au Musée Arlaud


Le 2 juillet, la Société vaudoise d’histoire et d’archéologie a organisé un parcours à pied, pour (re) découvrir des bâtiments liés à la vie ou à l’activité créatrice de huit artistes féminines aujourd’hui disparues. Cela sous l’experte conduite d’Ariane Devanthéry et Françoise Jaunin, toutes deux éminentes historiennes d’art. Il n’est pas interdit de refaire la balade par soi-même ! Nous commençons par l’Opéra. Celui-ci atteste du fort développement urbain de la capitale vaudoise entre 1856, ouverture de la gare, et le début du XXe siècle. Cette période a vu l’ouverture de nouveaux axes de circulation (telles les avenues de la Gare et Ruchonnet), la construction de nombreux bâtiments publics, de la poste de Saint-François (1900), de la Grande Synagogue (1910), le percement du Tunnel (déjà en 1855), et j’en passe… L’Opéra, alors Théâtre municipal, inauguré en 1871, en fait partie. Dans son foyer, nous pouvons voir les fresques virevoltantes d’Alice Bailly (1872-1938), toutes liées à l’art dramatique et à la danse. Réalisées peu avant son décès, elles sont de facture moderniste, tout en restant accessibles au goût timide de la bourgeoisie de l’époque. Ce sont les seules œuvres que nous verrons tout au long de notre périple. Pour celles des autres artistes, il faut recourir à Internet. Notons qu’Alice Bailly, à l’instar des autres peintres mentionnées ici, fut une féministe, surtout dans la mesure où elles revendiquaient la place (alors très contestée) des femmes dans l’art.
Puis nous passons devant l’École Vinet, ouverte dès 1839 aux jeunes filles par le grand théologien Alexandre Vinet. Mais elle était alors située dans un autre bâtiment. Deux artistes y ont enseigné le dessin. Germaine Ernst (1905-1996), peintre et graveuse, a laissé de nombreuses vues de Lausanne et des lieux visités lors de ses voyages à l’étranger. Denise Voïta (1928-2008) est notamment connue pour ses cartons de tapisseries. Jacqueline Oyex (1931-2006) a aussi fréquenté l’École Vinet, présente dans la formation de nombreuses jeunes filles qui se sont fait connaître par la suite. Ses dessins très personnels témoignent d’une grande fragilité intérieure.

À la place de la Palud, cœur de Lausanne et jadis place du Marché, où trône l’Hôtel de Ville, bâti par les Bernois au XVIIe siècle, flotte le souvenir de Lélo Fiaux (1909-1964), qui y avait son atelier, fréquenté alors par de nombreux artistes et intellectuels. D’un tempérament tout différent de la précédente, cette rousse flamboyante aimait la vie, l’amour, les voyages jusqu’à Tahiti …et la fête. Ses excès expliquent probablement sa mort précoce. Son oeuvre est à l’image de sa vie, mais elle présente aussi des côtés sombres à la Goya. Paradoxalement, on ne trouve à la Palud qu’une plaque commémorative, dédiée à …un homme, le grand peintre Félix Vallotton.
Nous voici maintenant sur la place Arlaud, avec derrière nous le théâtre Boulimie, et en face le Musée Arlaud, qui fut dès 1841 le premier musée d’art de la ville et du canton (avant le Palais de Rumine, érigé en 1906, puis l’actuel Musée cantonal des Beaux-Arts/MCBA en 2019). Là ont été notamment exposés les travaux de Francine Simonin (1936-2020), très riches en couleurs et de facture expressionniste. Son œuvre figure dans les collections et musées suisses, mais beaucoup aussi à Montréal, où elle passa une grande partie de sa vie. Quant à Emilienne Farny (1938-2014), inspirée par le Pop Art américain, elle a notamment représenté dans ses acryliques, non sans esprit critique, des villas d’une Suisse « bien rangée » et « propre en ordre », où le gazon soigneusement tondu côtoie une certaine médiocrité architecturale.
La balade se termine, près de l’église catholique du Valentin, dans la placette portant le nom d’Aloïse Corbaz (1886-1964), essentiellement connue sous son prénom. Cette artiste géniale passa presque toute sa vie dans des établissements psychiatriques, où elle peignait sans relâche, sur d’immenses rouleaux de papier, des scènes très colorées et chargées d’érotisme. On peut découvrir un florilège de son œuvre dans la Collection de l’Art Brut, un musée que notre canton peut s’enorgueillir d’abriter grâce notamment à Jean Dubuffet et à Michel Thévoz …qui fut l’époux d’Emilienne Farny. Le fait d’avoir donné le nom d’Aloïse à un espace public lausannois témoigne de la volonté de la Ville de féminiser quelque peu les noms de nos rues et places, jusqu’alors essentiellement dédiées à des hommes, dont certains d’ailleurs sont devenus d’illustres inconnus…
Bref, voilà un intéressant parcours architectural et artistique, qu’on aura avantage à faire avec son portable en main. On peut en effet regretter qu’une reproduction d’une œuvre de chacune de ces artistes féminines n’ait pas été placée dans ces lieux « stratégiques » de leur vie et/ou de leur travail. Ce serait encore plus parlant pour le public.