Médiation
La Négociation

René est décédé en laissant derrière lui quatre enfants. Son épouse l’avait déjà quitté quelques années auparavant. Sa maison a été vendue, ses meubles ont été dispersés aux quatre coins de la famille, ses vêtements ont rejoint des cartons d’associations et ses albums photos se sont réfugiés dans les caves de ses enfants.
Laurent Damond, avocat | Le notaire chargé de traiter les suites de ce décès pensait que tout avançait et pourtant, la succession stagnait, chaque héritier prétendait attendre sur l’autre et personne n’osait aborder le sujet. Une indivision, quelques comptes et surtout une fracture ancienne recouverte d’un vernis de politesse de façade.
Sur les quatre héritiers, trois s’adressaient encore la parole sur un ton neutre et prudent. Et un autre, Paul n’avait plus de contact avec sa sœur et ses deux frères. C’est celui qui m’a consulté et mandaté.
Mon client avait accompagné les derniers mois du père, coordonné les soins, vidé la maison et signé les formulaires administratifs. Celui que les autres remerciaient au début, puis qu’ils ont suspecté, sans le dire, d’avoir peut-être pris un peu trop d’initiatives, un peu trop vite et un peu trop seul.
Paul ne voulait ni procès, ni scandale, mais il souhaitait simplement que ce qu’il avait fait soit reconnu. Lors de notre rencontre, il m’a dit : « Je n’ai pas besoin de plus, mais je refuse que l’on fasse comme si je n’avais rien fait. Ce n’est pas de l’orgueil, c’est juste une question de principe. »
Ce qu’il attendait, ce n’était pas une médiation. Ce qu’il lui fallait, c’était que quelqu’un soit à ses côtés, quelqu’un qui sache parler en son nom sans envenimer, mais sans s’effacer non plus. Quelqu’un qui sache négocier, pas pour gagner, mais pour construire une solution acceptable et durable.
Ainsi, je les ai rencontrés, un à un. Tout d’abord la sœur, qui est apparue comme une personne chaleureuse, mais blessée et plus attachée aux objets qu’à l’argent. Puis le frère cadet, méticuleux, pour lequel les équilibres et les calculs financiers sont apparus comme étant essentiels. Enfin, le benjamin, fatigué et usé par les conflits familiaux, qui m’a dit d’entrée de cause : « Je veux juste que tout cela se termine au plus vite. »
A chacun, j’ai présenté une proposition claire et pas un coup de force, mais une sortie digne. Une répartition qui tienne compte du temps consacré, des efforts consentis et surtout qui permette de préserver un lien.
Il a fallu plusieurs échanges, des ajustements et des silences parfois lourds. Mais peu à peu, une forme d’accord est apparu, lequel n’était certes pas parfait, mais équitable. Pas égalitaire au centime près, mais juste pour chaque membre de la fratrie.
Le jour de la signature, tous les quatre étaient là. L’ambiance était sobre et peu de mots ont été échangés. Mais, il y a eu un regard entre la sœur et mon client et cette phrase, presque chuchotée : « Tu as fait ta part et plus encore. On ne l’a pas oublié. »
Plus tard, mon client m’a écrit un courriel à la teneur suivante : « Vous n’étiez pas entre nous. Vous étiez avec moi. Mais vous avez réussi à préserver ce qui comptait. »
J’ai alors su que la négociation avait porté ses fruits, car parfois, négocier ne consiste pas à obtenir davantage, mais en l’occurrence à sortir d’un labyrinthe familial sans laisser les portes fermées derrière soi. C’est aussi tracer un passage au milieu de souvenirs emmêlés, d’attentes déçues. C’est, tout simplement, trouver une voie qui permette encore de se parler demain.