Cinéma – Les bonnes femmes de Claude Chabrol
Sortie le 19 juin – Au cinéma d’Oron les 23, 24 et 25 juin

Fin juin, Claude Chabrol sera à l’honneur du 53e festival de cinéma de la Rochelle. L’événement donnera notamment l’occasion de (re) découvrir ses premières œuvres, telles que « Les bonnes femmes ». Jane (Bernadette Lafont), Jaqueline (Clotilde Joano), Ginette (Stéphane Audran), Rita (Lucile Saint-Simon) : au cœur du film de Claude Chabrol, un quatuor féminin au cri commun : « foutez-moi la paix ! ». La ligne de dialogue sans cesse hurlée dit d’emblée la tragédie parfois comique qui se joue dans « Les bonnes femmes » (1960).
Prisonnières du temps
Dans le magasin d’électroménager dans lequel elles passent le plus clair de leurs journées, des livreurs défilent et en profitent pour performer leur virilité avec plus ou moins de subtilité. Louis, grand poète de bas étage, vient ainsi déclamer sa dernière fournée de vers potaches, sous les yeux amusés de celles qui sinon s’ennuient. Prisonnières de ces spectacles, elles le sont tout autant d’un temps de travail dont les hommes, patrons, ont chasse gardée. Alors que chacune pense avoir trouvé sa manière de tirer son épingle du jeu des hommes, toutes sont terriblement malmenées, prises dans des schémas plus grands qu’elles qui, comme leurs journées, n’ont de cesse de se répéter.
L’une rit, l’autre tire la gueule
Jane la joueuse traine avec Jaqueline la sérieuse. A l’image de leurs rapports au monde respectifs, boucles brunes tournées vers le dehors pour l’une, cheveux lisses entrant vers le dedans pour l’autre. Emblème de la fille réservée, Jaqueline scrute le monde de ses yeux de biche désarmée. Par son immobilité chronique, elle s’apparente à une image fixe, voire à une statue. Lors de sa première apparition à l’écran, elle marche en rythme aux côtés de Jane, comme une militaire au service de l’éternel féminin.
L’une est maquée, les autres galèrent : Rita clame fièrement qu’Henri l’aime, mais ce n’est que pour mieux se prendre les pieds dans le tapis d’un mariage asservissant. A coup de commandes de mystères et de mentions de Michel-Ange, elle tente tant bien que mal de plaire aux parents de son bon-ami.
L’une chante, les autres pas
Ginette disparaît tous les soirs, en quête d’un espace à elle plutôt qu’un mari. Alors que ses amies assistent par hasard à la soirée dans laquelle elle chante, ce personnage secret s’effondre en même temps que le film la découvre. Révélée aux yeux des autres en même temps qu’aux nôtres, elle perd son statut de décor en même temps que sa sécurité.
L’une s’en sort, les autres pâtissent
Dans le personnage de « Jane avec A », comme elle aime le préciser avec emphase, on verrait presque un personnage de « Daisies » (Věra Chytilová, 1966). Le personnage aussi turbulent qu’inaccessible est peut-être celui qui s’en sort finalement le mieux, par ses éclats de rire. Alors que chacune tente de cheminer dans la ville de Paris, leurs itinéraires croisent ceux d’hommes toujours plus décevants voire violents, représentés dans une forme de misandrie très actuelle. Sans cesse importunées, les itinéraires libérés des « Bonnes femmes » n’ont de cesse de se transformer en fuite. Paris comme lieu de fête, autant qu’un vaste piège pour celles que l’on voit comme des proies.
Vas-y mollo Marcel
Si les personnages féminins se distinguent radicalement les uns des autres par leurs quêtes, les hommes se ressemblent. Rire gras et lourde insistance : l’un est clownesque à faire peur tandis que son collègue tout aussi lubrique l’apostrophe sans cesse d’un « vas-y mollo Marcel ! ». La quête phallique est en bout de course parfaitement illustrée en un geste à la violence sourde : Jaqueline pense avoir décroché le gros lot alors qu’Ernest l’enveloppe dans sa large veste. Leur union est consommée sur un plan serré du visage de Jaqueline, dont le regard vrille. Ayant obtenu ce qu’il voulait, Ernest retire violemment sa veste, abandonnant Jaqueline à terre. Le pire chasseur se cachait dans le plus tendre agneau de la bergerie.
Chabrol se joue des combinatoires avec ce film choral incarné par des personnages singuliers. Ne suivant pas un personnage mais quatre de manière plus ou moins égale, le seul dénouement possible est un constat général auquel fait écho l’exergue de La Fontaine : « Qu’importe qui vous mange ? Homme ou loup, /Toute panse me paraît une à cet égard, / Un jour plus tôt, un jour plus tard, / Ce n’est pas grande différence. »
