Exposition – Dialogue entre poésie et arts visuels
En plus de Pétrovitch et Vallotton, le Musée Jenisch présente Philippe Jaccottet et ses peintres
Lorsqu’il nous a quittés, Philippe Jaccottet (1925-2022) a été reconnu par toute la presse et la critique comme l’un des plus éminents poètes de l’espace francophone. Son œuvre en vers libres, qui relève d’un lyrisme moderne, se situe entre la poésie et la prose. Elle prend parfois la forme des haïku japonais, ces très brefs poèmes où tout est suggéré. Ainsi dans Violettes : « Rien qu’une touche de violettes pâles, une touffe de ces fleurs faibles et presque fades, et un enfant jouant dans le jardin… » Une poésie donc très sobre, où l’auteur s’efface avec pudeur devant la beauté du monde, et notamment de la nature. Jaccottet fut aussi traducteur (Goethe, les romantiques allemands, Homère). Mais nous n’avons pas la compétence pour évoquer davantage son œuvre littéraire… Celle-ci est entrée de son vivant dans la prestigieuse collection de la Pléiade, grâce notamment au travail de bénédictine d’une poète lausannoise contemporaine, José-Flore Tappy, grande spécialiste de Jaccottet et qui fut une de ses amies proches.
Lune à l’aube d’été
Dans l’air de plus en plus clair scintille encore cette larme ou faible flamme dans du verre quand du sommeil des montagnes monte une vapeur dorée.
Demeure ainsi suspendue sur la balance entre la braise promise et cette perle perdue
Poème de Philippe Jaccottet
Pour commémorer les cent ans de sa naissance, le Musée Jenisch a confié au neveu du poète, Florian Rodari, la mise sur pied d’une petite exposition dans ses murs. Philippe Jaccottet s’est toujours intéressé à la peinture et a été l’ami de nombreux créateurs. Il n’a cependant jamais voulu jouer au critique d’art. Comme le dit très justement Rodari, « il n’écrit pas sur la peinture, il écrit avec elle. » Notons que, parmi les écrivains, il a eu d’illustres prédécesseurs, comme Baudelaire, les frères Goncourt ou Rainer Maria Rilke. C’est donc à un dialogue fécond que l’on assiste. Sur Giorgio Morandi, dont la sobriété et la rigueur s’accordent avec la poésie de Jaccottet, il écrit : « Je ne crois pas qu’aucun peintre ait travaillé un matériau plus pauvre ; même pas Chardin, même pas Cézanne. » Ce propos est illustré dans l’exposition par une admirable Nature morte de 1957. De Marc Chagall, un Souvenir de Vitebsk, qui unit ses souvenirs d’enfance, le monde juif hassidique et une église orthodoxe. Remarquons aussi un puissant Paysage à Maloja, très hodlérien, d’Alberto Giacometti, dont Jaccottet avait fait la connaissance grâce à Annette, le modèle du sculpteur, qui était la cousine du poète. Plusieurs artistes, à la suite de Philippe Jaccottet et de son épouse dès 1953, se sont ensuite installés à Grignan, lieu cher à Madame de Sévigné, dans la Drôme, cette région qui joue un peu le rôle d’intermédiaire entre le Nord et le Sud de la France. Parmi eux, Italo De Grandi, qui en a rapporté de délicates aquarelles. Anne-Marie Jaccottet, épouse de Philippe, s’est vouée aussi à l’aquarelle, avec des œuvres toutes de subtilité privilégiant les couleurs pâles, montrant des fleurs et des fruits.
On l’a dit, cette exposition est de dimension très modeste. Et donc, si vous ne l’avez pas encore fait, allez découvrir l’univers assez fascinant de Françoise Pétrovitch et celui du génial graveur qu’était Félix Vallotton. Nous en avons parlé dans un précédent numéro du Courrier (No 6 du 13 février 2025). En plus de voir ou de revoir la salle consacrée à l’expressionniste Oskar Kokoschka et la collection permanente du Musée Jenisch (dont le choix d’oeuvres change régulièrement), avec notamment son superbe ensemble de tableaux de Hodler. Riche printemps donc dans l’institution culturelle veveysanne !
« Philippe Jaccottet et ses peintres », Musée Jenisch, Vevey
Jusqu’au 17 août, les deux autres expositions jusqu’au 25 mai