La chronique de Denis Pittet
Les jolis Noël de mon enfance

Il faisait si froid cet hiver là qu’on entendait trembler les vers de terre. Quand on est petit, même cinquante centimètres de neige vous paraissent un mètre… Ce 24 décembre 1968, une vague de froid avait touché nos régions durant les Fêtes. En Valais, des routes étaient coupées et il était tombé 3,50 mètres au somment du col du Petit St Bernard.
Ce soir-là, notre papa nous avait préparé une surprise à la ferme de Mandou. La tradition voulait que mes sœurs et moi passions l’après-midi de cette veille de Noël chez ma grand-maman. Cela sentait la mandarine et il y avait des pelures de cacahuètes partout. La ferme de Mandou se trouvait au bout d’un chemin de campagne au-dessus de Bottens. Nous étions arrivés avec la voiture au bas de ce chemin et avions terminé à pied. Je n’oublierai jamais ces images et ces sensations: un vent glacial, une nuit noire et terrifiante, le crissement des pas. L’allée en dernière ligne droite bordée de barrières blanches repeintes par papa était comme une piste d’atterrissage. Et soudain la ferme était apparue, illuminée comme si tous les sapins de Noël du monde s’étaient donné rendez-vous là. Les fenêtres étaient décorées de guirlandes électriques. Cela clignotait dans le silence et dans les reflets de la neige glacée. Il y avait des bougies. C’était juste merveilleux.
J’ai une autre réminiscence plus fugace dans mon esprit mais l’image elle aussi est là, je ne sais pas pourquoi. Nous sommes en 1970 cette fois, il est tôt le matin, sans doute quelques jours avant le 24. Je suis au collège de Béthusy depuis quelques mois et Béthusy fête Noël ce jour-là. En sortant du bus – encore une histoire de lumière – j’aperçois le bâtiment D (c’est toujours son nom je crois) entièrement allumé comme un vaisseau spatial dans la nuit. Je ne le reverrai jamais ainsi. Toutes les classes étaient ouvertes et les élèves pouvaient fêter comme ils voulaient. C’était trop bonnard. Un sentiment de liberté violent. Les tables poussées dans un coin et un tourne-disque posé sur une chaise avec Marc Pache comme disc-jockey. Dans le fond, c’était aussi une des magies de Noël.
Il y a encore un souvenir fort que je dois évoquer. Je pense que c’est en 1964. Première année d’école enfantine. Ça non plus je ne pourrai jamais oublier. Nous étions dans un pavillon en bois près de l’Orangerie du Parc Mon-Repos. Un petit sentier goudronné nous y menait depuis l’avenue du Tribunal Fédéral. La maîtresse d’école s’appelait Mme Chuat. Elle me paraissait très vieille mais ne devait pas l’être. Elle portait une blouse bleue et des petites lunettes fines. Je lui dois ces souvenirs extraordinaires. A l’approche de Noël, elle avait mis la classe en mode bricolages. Mais c’était tellement bien. Nous avions confectionné des anges que l’on découpait par piquage sur du carton épais et joli. Puis nous pliions le découpage en deux pour rendre l’ange plus solide… Et puis ces bougeoirs en terre glaise qui avaient la forme d’une demi-boule avec un trou au sommet que nous creusions avec notre doigt… Nous peignions et mettions enfin une couche de vernis sur ces trésors. Et puis ce feutre que nous découpions à la base du bougeoir pour ne rien abimer quand il serait posé. Ces bougeoirs ont orné longtemps la crèche de Noël à la maison. Il y avait enfin ces carrés de linoléum sur lesquels on posait un calque afin de reproduire un joli dessin de Noël (je ne sais plus quoi). Puis avec des gouges de différentes largeurs, on creusait et creusait encore le linoléum avant la magie de l’impression. Seule Mme Chuat avait le droit de passer le rouleau à encre et ensuite on finissait quand même tous avec les doigts tout noir.