Les Etats-Unis, les Ours polaires et Nous
par Laurent Vinatier | La semaine dernière, l’équipe américaine du très officiel Institut d’études géologiques qui a équipé de caméras quatre ourses polaires au nord de l’Alaska, a rendu ses résultats sous forme de plusieurs vidéos qui dévoilent donc la vie quotidienne sur la banquise du point de vue de ces animaux. Simplement fascinant… en particulier, quoiqu’assez confuse, la chasse au phoque. Au même moment, le nouvel homme fort d’Egypte, qui a intimidé et emprisonné ces derniers mois plusieurs milliers d’opposants, a prêté serment. Au même moment, sous l’égide du Pape François, Palestiniens et Israéliens ont tenté de trouver des raisons de s’écouter de nouveau. Au même moment, on a intercepté en Méditerranée une nouvelle vague de migrants. Dans le cas de l’ours, apparemment, il s’agit d’étudier ses réactions face au changement climatique et donc d’une certaine manière de rendre compte du phénomène.
L’honneur est sauf: la cause est juste, un peu politique, très internationale. Ce n’est pas seulement une lubie de scientifiques ou une idée de fin de soirée en Alaska: «tiens si on filmait une chasse au phoque du point de vue de l’ours», ou encore une espèce d’expérience hors du monde, tellement déconnectée du réel au point de se demander comment un pays, avec de l’argent public, peut effectivement financer ce genre d’activités. C’est de la recherche fondamentale, dira-
t-on. Oui, mais à ce point là… C’est là précisément que réside la puissance des Etats-Unis: être capable à la fois d’envahir l’Irak, d’envoyer des drones contre des militants armés islamistes et de soutenir un projet de caméras embarquées sur des ours polaires. D’autant et c’est une force supplémentaire, qu’aucune de ces missions n’est exclusive l’une de l’autre.
Quel autre pays est en mesure d’assumer cette variété? Voit-on la Chine, la Russie, le Brésil ou l’Inde, pour ne citer que les puissances revendiquées, octroyer des financements de recherche qui ne soient pas directement reliés à leurs intérêts stratégiques? Seuls les Etats-Unis, dans une proportion significative, investissent dans des projets de recherche à vocation globale, c’est-à-dire dont les résultats sont censés servir le bien commun. Il n’y a qu’eux qui ont les moyens et la volonté de le faire. C’est le même mouvement évidemment qui les conduit à jouer les gendarmes un peu partout, avec plus ou moins de succès. Cet interventionnisme est le prix à payer pour leur implication scientifique désintéressée. Ils voudraient se retirer, prendre leur distance, se désengager de la politique mondiale. Notre connaissance des ours polaires en serait affectée, sans doute mais il n’est pas sûr que ce soit trivial.