La petite histoire des mots
Touriste
Georges Pop. |. Courtisé par les hôteliers, les restaurateurs et les commerçants mais parfois vilipendé par les autochtones des pays qu’il visite lorsqu’il est trop envahissant, irrévérencieux, tonitruant ou lorsqu’il dissémine ses déchets sans égards pour la nature, le touriste est une espèce relativement récente. La fin prochaine de la haute saison estivale nous offre une belle occasion d’examiner son origine et celle du vocable qui le désigne. Nul ne sera sans doute surpris de reconnaître que le mot «touriste» nous vient de l’anglais «tourist». Mais que les détracteurs du franglais ne s’emballent pas trop vite et se rassurent puisque la langue de Shakespeare a emprunté le terme au français «tour» assigné dans ce cas à une randonnée circulaire dont les points de départ et d’arrivée se confondent; mot lui-même hérité du latin «tornus» qui à l’origine désignait un tour de potier. En anglais, «tourist» apparaît vers la fin de 18e siècle d’abord comme adjectif pour qualifier le circuit, appelé «Grand Tour», y compris d’ailleurs en anglais, que faisaient les jeunes aristocrates sur le continent européen, pour parfaire leur éducation, avant de gagner Rome dont la visite, en ce temps-là, était un «must». Très vite, l’adjectif devint substantif pour dénommer les voyageurs eux-mêmes. «Touriste» fut presque aussitôt adopté par la langue française. Et déjà à cette époque, ce type de voyageur n’avait pas très bonne presse. Au 19e siècle, le Littré en donnait la définition suivante: «se dit des voyageurs qui ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement, qui font une espèce de tournée dans des pays habituellement visités par leurs compatriotes. Il se dit surtout des voyageurs anglais en France, en Suisse et en Italie». A la même époque, le Larousse en donnait, lui, une définition à peine moins négative: «personne qui voyage par curiosité et par désœuvrement». Voilà qui renvoie l’idée d’un touriste oisif, forcément fortuné, qui tue le temps en flânant d’un pays à l’autre pour assouvir égoïstement une curiosité personnelle. Il fallut attendre le développement du chemin de fer à la fin du 19e siècle pour que le tourisme de masse commence à se propager; puis l’apparition en France, en 1936 sous le régime du Front populaire, du congé payé pour qu’il se démocratise en devenant accessible aux classes sociales les moins privilégiées. Selon le dernier baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), en 2017 le nombre de touristes à travers le monde a fait un bond de 7% pour atteindre un total de 1 milliard 322 millions. Et cet élan devrait se poursuivre cette année encore, à un rythme de 4 à 5 pour cent. Au même moment, selon l’ONU, animés par des mobiles autres que le goût du voyage, le nombre de migrants internationaux a atteint le chiffre de 258 millions. Parfois, comme sur les plages d’Espagne, les uns et les autres se croisent fugacement; les premiers se partageant la compassion ou l’hostilité des premiers. Pour le reste, le touriste reste toujours de nos jours un objet de convoitise mais aussi de moquerie. Pour conclure cette chronique, je retiendrai pour ma part cette citation de l’humoriste et écrivain américain Sam Ewing: «Les touristes veulent toujours aller là où il n’y en a pas…»