La petite histoire des mots
Pénurie

Georges Pop | La nouvelle a fait l’effet d’une petite bombe : la Suisse pourrait avoir à affronter une pénurie d’électricité, à partir de 2025, en cas d’absence d’accord avec l’Union européenne, notamment. Le conseiller fédéral en charge de l’économie, Guy Parmelin, a appelé les entreprises du pays à se préparer dès maintenant à cette éventualité. Le mot « pénurie » désigne l’absence ou la rareté d’un bien nécessaire à la vie ; une pénurie d’eau ou de vivres, par exemple ! Par extension, ce terme définit aussi une insuffisance en rapport avec certains besoins matériels ou intellectuels, comme un manque de main d’œuvre qualifiée, ou une carence de connaissances. Ce substantif nous vient du latin « penuria » qui désignait un manque de vivres ou une disette. Selon certains linguistes, « penuria » est apparenté au mot grec « peina » qui veut dire « faim ». Selon d’autres, il serait dérivé de l’adverbe latin « pæne » qui signifie « presque ». Mais son origine précise reste incertaine. « Pénurie » est avéré dans la langue française dès le XVe siècle dans le sens de pauvreté, misère et indigence. C’est au milieu du XVIIIe siècle que ce terme fut, pour la première fois, utilisé pour évoquer un défaut d’approvisionnement dans un magasin d’Etat. Et c’est à cette même époque que, dans la littérature, fut suggérée une « pénurie de langage », allusion à ce que certains considéraient déjà comme un appauvrissement de la langue. L’histoire récente et l’actualité nous rapportent régulièrement des pénuries. Confronté à une crise sans précédent, le Liban, par exemple, connait actuellement une pénurie de carburant et de médicaments. La première provoque des coupures d’électricité, alors que la seconde prive de nombreux malades de soins. Confrontée à une forte demande due à sa croissance économique, à une régulation drastique des tarifs, ainsi qu’à la stricte application de normes environnementales, la Chine subit, en ce mois d’octobre, les plus importantes pénuries d’électricité de son histoire récente, avec des coupures de courant, des rues plongées dans le noir, des feux de circulation à l’arrêt, des ascenseurs en panne et une industrie partiellement paralysée. Vues sous un angle politique ou social, les pénuries sont source de révoltes, de violences et de conflits, pour se disputer un accès à la ressource qui fait défaut. Les guerres, quant à elles, sont des facteurs de pénurie et de rationnement. L’Europe, et même la Suisse, qui fut pourtant épargnée par les combats, se souviennent des pénuries et des privations consécutives à la deuxième guerre mondiale. La Suisse connaitra-t-elle la pénurie qu’on lui annonce aujourd’hui. Peut-être pas ! Mais il serait sans doute bon de méditer sur cette citation du neurobiologiste Henri Laborit, auteur d’un « Eloge de la fuite » : « Les sociétés de pénurie possèdent vraisemblablement une conscience de groupe plus développée que les sociétés d’abondance », dont nous sommes. Pour conclure sur une note plus souriante, le très anticommuniste écrivain et dramaturges français Georges Courteline a écrit : « Savez-vous ce qui arriverait au Sahara si on y installait le communisme ? Pendant cinquante ans rien. Au bout de cinquante ans, pénurie de sable ! »


