La petite histoire des mots
Satire
Georges Pop | Vendredi dernier, l’hebdomadaire satirique romand Vigousse a publié son 500e numéro. Le journal fut créé en décembre 2009. A l’époque, personne, hormis ses concepteurs, à commencer par le dessinateur de presse Barrigue, n’aurait parié le moindre centime sur les chances de survie d’un tel journal. Le substantif « satire », dont est issu l’adjectif « satirique », désigne une critique ironique, voire sarcastique, ou une publication, jadis en vers, où sont tournés en ridicule les travers, les défauts et les vices d’une époque, d’un groupe de personnes ou d’un individu. De nos jours, la satire politique, par exemple, est devenue un genre à part entière. Le mot « satire » fut emprunté par le français, sans-doute dès le XIIIe siècle, au latin « satira » ou « satura » qui, à Rome, a d’abord désigné, en cuisine, un mélange de légumes, apprêté avec toutes sortes d’ingrédients puis, en littérature, une pièce comique mélangeant, comme dans la recette, différents genres. De nombreux textes grecs possédaient déjà l’essentiel des caractéristiques de la satire latine. C’est le cas des vers d’Archilogue de Paros, un soldat-poète célèbre au VIIe siècle av. J-C pour ses ivresses de soudard, ses colères épiques et ses critiques acerbes, dirigées contre les mœurs de son temps. Les Romains, qui ont imité les formes littéraires grecques, ont fait cependant de la satire un genre à part entière, grâce à des auteurs tels que Lucilius, Horace, Persius et Juvénal qui ont légué à la postérité des textes caustiques sur la vie, les vices et la décadence morale de leurs contemporains. Depuis, en Occident, la satire n’a cessé de se répandre à travers les âges, au Moyen-Âge avec le Roman de Renart ; au XIVe siècle avec Le Décaméron de Boccace, le Pantagruel de François Rabelais ou le Don Quichotte de Cervantès ; dans le classicisme français, avec Les Satires de Nicolas Boileau et les Fables de Jean de la Fontaine, puis au XIXe siècle, avec la parution des premières nouvelles et des premiers articles de presse satiriques. Largement distribués en Suisse, Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo sont, aujourd’hui, les deux titres phares de la presse satirique française. Quoiqu’en disent ceux qui pestent contre les contraintes liées à la pandémie, de telles publications seraient condamnées à une mort certaines hors d’un régime vraiment démocratique, sous la férule d’un dictateur ou de l’une de ces autorités despotiques qui se prétend l’interprète du Créateur. Il est cocasse de constater que le mot féminin « satire » est très souvent confondu avec son homonyme masculin « satyre », issu, par l’intermédiaire du latin « Satyrus » au grec « Saturos » : ce nom était porté par une semi-divinité, proche du dieu Pan, représentée avec de longues oreilles pointues, des petites cornes, une queue de bouc et des jambes de chèvre. Les satyres de la mythologie parcouraient les bois, adoraient les nymphes, les courtisaient et, parfois, s’unissaient à elles. Devenu nom commun, le substantif « satyre » désigne aujourd’hui un homme particulièrement lubrique. Petite digression : le mot « lubrique » nous vient du latin « lubricus » qui veut dire « glissant ». Ce terme latin nous a aussi légué le mot « lubrifiant » qui désigne une substance grasse qui, introduite entre deux corps, diminue leur frottement. En français , rien n’est fortuit !