Cinéma – L’hôpital Riviera-Chablais vu de l’intérieur
Charlyne Genoud | Appréhendé, haï, adoré ou idéalisé, l’hôpital Riviera-Chablais inauguré en 2019 à Rennaz n’a pas manqué de faire parler de lui ces dernières années. En se concentrant sur quatre personnages personnifiant chacun.e un type de ressenti, Daniel Maurer raconte la construction interminable de l’hôpital de Rennaz en confrontant des voix et des points de vue, et ce uniquement par le montage puisque les quatre protagonistes ne se partagent jamais l’écran.
Quatre voix à Rennaz
« Et dehors la vie continue » commence par de belles images et en est peuplé, des tableaux symétriques aux couleurs équilibrées. Sur le fond de ces décors épurés se détachent rapidement quatre personnages, et autant de voix venues rapporter leur réalité singulière. Il y a d’abord Eric, un chef urgentiste au regard bienveillant. Bien vite la caméra quitte l’hôpital du Samaritain de Vevey et l’écran se peuple d’une foule d’hommes en complet gris décrivant avec vivacité les événements ayant rendu possible la construction d’un nouvel hôpital : « Tout a commencé en 2001, lorsque les cantons se sont mis d’accord » clame ainsi Marc-Etienne Diserens, président du Conseil d’établissement de l’Hôpital. L’intertitre suivant nous avertira de l’entrée en scène de Frédérique du service mobile des urgences. Alors que le nouvel hôpital symbolise pour beaucoup de citoyen.ne.s que les soins s’éloignent de leurs domiciles, Frédérique parcourt la Riviera en voiture pour tenter de réanimer des patient.e.s. Face à des situations vaines, la jeune femme partage avec la caméra un peu de la rudesse de sa réalité. Elle enrôle ainsi la sensibilité du corps médical, en rappelant à plusieurs reprises comment le soin coûte à celui qui le donne. Parce que le film n’est pas introduit par une voix off, les choix habiles de Daniel Maurer en matière de sujets de documentaire sont ainsi appréciables.
Construction d’un lien
Une fois le quatuor de protagonistes présenté.e.s, le scénario s’appliquera à des ping-pongs plus ou moins surprenants. On saute ainsi de l’un des protagonistes à l’autre en avançant gentiment dans le temps, mais surtout d’écueil en écueil, puisque le film rappelle les nombreuses difficultés et retards vécus lors de la phase de construction de l’hôpital. Au-delà de cette dernière, « Et dehors la vie continue » est un panorama de la médecine locale, qui permet de l’envisager dans tout ce qu’elle a de plus communautaire, à l’image de la présence d’un policier sur l’affiche du film symbolisant les collaborations que les métiers du soin sous-tendent.
Des yeux posés sur les murs
Le chantier suit son cours jusqu’à l’inauguration, à laquelle assistent les conseillers d’Etat qui font leur entrée ciseau à la main face au ruban vert, blanc et rouge. Une première visite du bâtiment pour ces nouveaux visiteurs suivie d’une autre ouverte au public, et ce qui n’était encore qu’un bâtiment en construction se teinte par les différents regards que l’on pose sur ses murs. S’enchaînent alors grâce au montage la réalité de ces moments plutôt mondains et celle des patient.e.s et professionnel.le.s qui subissent alors un déménagement vers ce lieu automatisé, ressemblant à un white cube tellement il est minimaliste. Même le film change alors, et la forme visuelle pour ce récit prend tout son sens lorsque les couleurs complémentaires, qui se faisaient motif récurrent dans « Et dehors la vie continue », disparaissent totalement, au profit du blanc absolu de l’hôpital Riviera-Chablais; le blanc des chemises sur le blanc des murs, qui côtoie le blanc des casiers alors même que les silhouettes bleues foncées se détachaient auparavant des murs oranges. En quittant les couleurs primaires du samaritain de Lausanne, les urgentistes répètent « c’est la fin d’une époque » avant d’arriver dans la cour des grands.
« Et dehors la vie continue » de Daniel Maurer, 2021) A voir au cinéma d’Oron.