Cinéma – L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine, 2024
Présenté à « Un certain regard » au dernier festival de Cannes, le nouveau film de Boris Lojkine cadre une réalité parisienne trop peu montrée sur le grand écran.
Pédaler contre la fatalité
C’est une tragédie qui commence à son avant-dernier acte : Souleymane (Abou Sangare) court contre la montre face à son destin qui se noue. Il lui reste quarante-huit heures pour apprendre par cœur une histoire qui, il l’espère, rentrera dans les critères du bureau d’immigration français et lui permettra d’obtenir l’asile en France. Il n’y a malheureusement pour lui pas que cet apprentissage impossible au programme : il doit aussi récupérer l’argent que le titulaire de son compte type uber eat lui doit, pour payer un certain Barry (Alpha Oumar Sow) qui lui fournit des faux documents attestant de sa fausse histoire. Souleymane pédale ainsi de toutes ses forces dans les rues agitées de Paris pour livrer le plus de repas possibles en espérant récupérer son dû. Son temps est par ailleurs réglementé par le bus quotidien de vingt-deux heures qui le ramène à un dortoir pour sans-abris en dehors de Paris, et par l’appel matinal qu’il doit faire pour s’y assurer une place.
Des choix pertinents
Boris Lojkine s’attelle ainsi à représenter les travailleurs clandestins qui sillonnent les villes occidentales et font désormais partie du paysage urbain contemporain. La thématique est bien choisie, elle fait voir une réalité que l’on ne connait que peu et que l’on ne voit plus. Le ressort dramaturgique qu’est la course effectuée à vélo fonctionne par ailleurs très bien. Filmer Paris ainsi permet de rendre compte de la réalité d’une ville qui ne ressemble pas au cliché véhiculé par la plupart des films français actuels. Le film est aussi bien écrit grâce à l’idée du mensonge, qui force un questionnement plus profond sur le système de demande d’asile français. Boris Lojkine semble par ailleurs savoir accueillir le réel dans sa fiction : s’entourant d’un casting non-professionnel et se documentant par beaucoup de recherche de terrain, on ressent dans son film une quête de véracité que l’on ne peut que saluer. Le début in medias res du film fait commencer le récit alors que le problème est déjà installé. Ce choix non classique de scénario fait du sens dans la représentation d’une histoire dans laquelle la tragédie semble avoir commencé au début d’une vie.
L’histoire de Souleymane
de Boris Lojkine, 2024