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Vivre l’histoire de la Suisse à travers des balades culturelles à pied

Professeur émérite à l’Université de Genève, François Walter s’est notamment fait connaître par une remarquable série de cinq volumes intitulée Histoire de la Suisse. Il « remet ça » sur un mode plus léger et récréatif, destiné au grand public. « L’histoire au pas du marcheur », comme le dit l’auteur. Il s’agit de 31 balades historiques, divisées en trois tomes. Pour aujourd’hui, concentrons-nous sur le premier, consacré à la Suisse occidentale. Chaque itinéraire se compose de deux parties. D’abord un résumé historique très accessible, puis la description de l’itinéraire pédestre, accompagné d’une carte géographique et richement illustré par de nombreuses photos. Tous sont atteignables par les transports publics. A dessein, François Walter a privilégié les régions rurales et les bourgs, en laissant de côté les grandes villes, plus connues. Et il s’agit aussi d’éprouver le plaisir ludique de la marche dans la nature.
La première balade concerne le mont Vully, qui jouxte le lac de Morat, dans le canton de Fribourg. C’est l’occasion pour l’historien de rappeler le riche passé celte de la région, avec ses oppidums érigés sur des collines et ses maisons de bois sur palafittes, construites sur les rives et non sur l’eau, comme on l’a cru longtemps avec le mythe des « lacustres ». Puis l’on passe à Avenches la Romaine (Aventicum), qui connut son apogée sous Vespasien et Titus, entre 69 et 81 ap. J.-C., puis sous Trajan. Le marcheur y découvrira donc de nombreux témoignages de l’Antiquité, tels l’amphithéâtre, le Cigognier (reste d’un temple) et l’intéressant musée romain. Une balade que nous recommandons aux parents et enfants d’âge scolaire. Romainmôtier et son abbaye nous introduisent au monde clunisien. Cet itinéraire médiéval nous conduit aussi à Orbe. On y remarquera notamment, sur une rue en forte déclivité, une curiosité : la « pierre à sabot » indiquant aux charretiers qu’il fallait freiner à l’aide de sabots de bois…
En Valais, l’abbaye de Saint-Maurice dévoile, sous la plume alerte de l’auteur, ses trésors, mais aussi ses mythes. Ainsi, toute l’histoire de l’officier roman Maurice, qui aurait été décapité comme chrétien, semble plutôt le fruit de l’imagination liée à la piété qu’une certitude historique. Mêlant à dessein les époques, l’auteur y parle aussi des fortifications du général Dufour, comme il l’avait fait à propos du mont Vully pour celles de 1914-1918.
Morat est une ville médiévale admirablement conservée, mais aussi le lieu d’une bataille d’importance européenne en 1476. Elle vit en effet la victoire écrasante des Confédérés sur le trop ambitieux duc Charles le Téméraire, malgré son armée beaucoup plus moderne (archers, canons) que celle des Suisses. Et ce fut la fin de l’Etat bourguignon. Pour la balade suivante, à travers la Gruyère, nous restons dans le canton de Fribourg. F. Walter consacre des pages fort intéressantes à son économie, basée sur le lait, la fabrication de fromages durs, puis sur le chocolat (Cailler à Broc est l’un des lieux les plus visités de Suisse !). Sans oublier le barrage de Montsalvens et l’énergie électrique qu’il produit. Cela dit, il n’est pas interdit au promeneur d’admirer au passage de belles maisons rurales gruyériennes.
Mais nous voici dans notre cher Lavaux et son vignoble. Bien connus de ses habitants, il ne nécessite pas de grandes explications. Cependant, à l’attention des lectrices et lecteurs d’autres régions, l’auteur n’omet de présenter l’évolution de la viticulture, mais aussi les précieux témoignages de l’architecture contemporaine sur la Riviera (villa Le Lac de Le Corbusier, Atelier De Grandi par Alberto Sartoris et bâtiment Nestlé œuvre maîtresse de Jean Tschumi). A Genève et dans ses environs, notamment à Ferney (aujourd’hui Ferney-Voltaire), nous retrouvons la figure de l’immense écrivain et philosophe des Lumières. On notera un passage intéressant sur une entreprise avortée : la création au XVIIIe siècle d’une ville nouvelle, rationnelle, en damier, qui aurait dû concurrencer Genève : il s’agit de Versoix.
On va retrouver Le Corbusier, mais surtout l’industrie horlogère, dont François Walter résume l’évolution technique et économique (de l’atelier à la fabrique), à La Chaux-de-Fonds et au Locle. Avec un accent mis sur l’urbanisme résolument novateur de « La Tchaux », ville reconstruite après le grand incendie de 1794. Le périple à pied offre un parcours à travers ses beautés méconnues, tels les édifices Art nouveau. Dans le canton du Jura, le site de Bonfol revêt surtout une importance historique, par son rôle de région-frontière menacée pendant la guerre de 1914-1918, Français et Allemands caressant le projet de passer à travers le territoire suisse pour contourner l’adversaire. Mais le nom de Bonfol est aussi lié à sa décharge industrielle et chimique à ciel ouvert (114’000 tonnes de déchets !), un scandale écologique heureusement (mais tardivement) réparé aujourd’hui.
Voilà donc un ouvrage très riche et au contenu varié, qui devrait inviter à des (re) découvertes originales de notre Suisse romande. Les deux tomes qui suivent, d’un égal intérêt, sont consacrés à la Suisse orientale et septentrionale, enfin à la Suisse orientale et dans les Alpes.
François Walter, Au fil de l’histoire suisse,
balades historiques, tome 1, Ed. Livreo-Alphil,
Neuchâtel , 2025, 251 p., ill.


