Un professeur Tournesol à Puidoux ?
Jean-Pierre Lambelet | De tout temps, chez les Martin de la Grange-à-Jaunin à Puidoux, les idées novatrices emplissaient la maison. Louis Martin était passionné de musique et créait des instruments allant de l’arrosoir à la scie musicale… Son fils Georges n’avait peut-être pas l’oreille mélodique de son père, mais par contre une passion d’agriculteur novateur. Dans sa tête fourmillent mille et une idées pour aller vers une paysannerie qui dépasse les acquis actuels de production en utilisant toutes les capacités d’énergie émanant d’un domaine agricole avec des bovins, des porcs et de la volaille.
Dans le cycle normal de la nature, les animaux et les gens doivent se nourrir et une fois les aliments digérés, ils produisent des «rejets» qui retournent à la nature et qui peuvent servir d’engrais pour recommencer le cycle. Lors de cette transformation, à chaque étape, il y a un dégagement d’énergie sous forme de gaz et/ou de chaleur.
C’est sur ce point-là que Georges Martin s’est mis en quête de savoir comment utiliser cette énergie pour son exploitation et les appartements en produisant de l’électricité et de la chaleur.
Il existait déjà quelques exploitations agricoles qui testaient des digesteurs produisant du biogaz. Georges s’est donc attelé à construire et expérimenter un digesteur importé d’Allemagne qu’il a perfectionné au fil des ans.
Après presque 15 ans de tâtonnements et de trouvailles, il est arrivé à un stade où il tire le maximum d’énergie du système provenant de 250 têtes de bovins à l’engrais, 60 porcs et 400 poules; les déjections en fumier et lisier représentent environ 2200 m³ par année à quoi s’ajoutent 360 tonnes de co-substrats extérieurs comme les poussières de moulin, du gazon et des graisses. Le tout est mélangé et dirigé dans le «digesteur», soit une immense cuve cylindrique recouverte d’un toit souple d’une matière étanche et résistante. En chauffant ces substrats à 40 degrés on obtient du méthane qui va gonfler le toit comme un ballon (d’où la forme arrondie de celui-ci). Ce méthane va alimenter un moteur qui produit de l’électricité. A ce jour, l’électricité produite dépasse largement les besoins de la ferme et une bonne partie est injectée dans le réseau public et donc vendue à Romande Energie, ce qui assure un revenu intéressant à l’exploitation. Cette énergie exportée représente la consommation annuelle de 180 ménages.
Pour compléter la production par le biogaz, des panneaux solaires recouvrent un pan entier du toit des écuries.
En outre, la chaleur récupérée permet de chauffer les 4 appartements de la maison ainsi que les 500 litres/jour nécessaires à l’abattoir lié à l’exploitation, car on fait aussi boucherie de campagne dans la famille Martin avec vente directe aux consommateurs.
Mais pour Georges Martin, on peut faire encore mieux…!
En effet, une fois digérés, il reste des substrats solides et liquides qui vont retourner sur et dans le sol pour continuer le cycle de la nature. Pourquoi ne pas améliorer la qualité de ces substrats en «évaporant» la partie liquide…? Cette solution permettrait de diminuer fortement le transport et l’épandage de lisier qui est un élément problématique si les surfaces nécessaires sont insuffisantes ou très éloignées du lieu de production.
Il a donc conçu en collaboration avec la société Arnold & Partner AG un «évaporateur pour digestat liquide» qui permet d’obtenir 70% d’eau claire pouvant retourner directement dans la nature et 30% d’éléments nutritifs solides convertis en engrais de grande valeur.
Grâce à cette géniale idée et à son application pratique, Georges Martin
a reçu en 2014 un prix spécial AgroPrix décerné chaque année par Emmental Assurance sous le patronage de l’Union suisse des paysans encourageant des projets innovateurs concernant le secteur de l’agriculture.
Qu’il fut long le chemin jusqu’à cette consécration, avec des hauts et des bas, des doutes, des contrariétés, des autorités cantonales et fédérales parfois bien tatillonnes, des partenaires commerciaux pas toujours enclins à faire confiance à des idées nouvelles.
Mais, grâce à sa ténacité, sa clairvoyance et le soutien et la compréhension de sa famille, il est parvenu à construire une installation performante à la pointe du progrès. Ce qui fait qu’aujourd’hui l’exploitation agricole traditionnelle est devenue une petite entreprise constituée de 4 employés épaulant les familles de Georges et de ses fils Stéphane et Pascal Martin.
Le paradoxe de cette aventure «biogaz» c’est qu’un domaine agricole arrive à presque mieux se rentabiliser avec une production d’électricité et de chaleur émanant des déjections animales et des déchets de la consommation des humains que par la seule production standard issue des animaux et du sol…!
Un grand bravo à cet agriculteur et… Georges, quoi d’autre pour la suite…?