Un florilège de dessins de Hodler est exposé à Vevey
Pierre Jeanneret | L’exposition actuelle du Musée Jenisch est le fruit d’un don d’une exceptionnelle générosité. Rudolf Schindler (1914-2015) fut professeur puis directeur de l’Ecole d’arts visuels de Berne et Bienne. Excellent connaisseur de l’œuvre de Ferdinand Hodler, il achète dès 1955 des dessins de ce dernier et acquiert ainsi une extraordinaire collection de plus de 600 œuvres du grand artiste bernois. Le 31 octobre 2014, il en fait don au Musée Jenisch. C’est une sélection inédite d’environ 170 œuvres (principalement sur papier, mais aussi une dizaine de peintures) qui est présentée à Vevey. Notons que Hodler avait des liens forts avec cette ville. C’est là ou dans ses environs qu’il a peint plusieurs de ses magiques paysages lémaniques. C’est là aussi qu’est décédée sa maîtresse Valentine Godé-Darel.
Certes, l’exposition parlera surtout à celles et ceux qui connaissent les versions achevées des peintures et fresques de Hodler, comme «La Retraite de Marignan» ou ses grandes pièces symbolistes («Le Jour», «L’Heure sacrée», «Regard dans l’infini», «La Vérité», etc.). Car à Vevey, on n’en voit que les esquisses et travaux préparatoires. Ceux-ci sont néanmoins très intéressants pour comprendre la genèse de ses grandes toiles. On appréciera également l’extraordinaire dynamisme et la puissance du dessin, dont certains sont d’une stupéfiante modernité: ainsi, le portrait de Giulia Leonardi, à peine esquissé, fait songer à Matisse ou Picasso. Une large part de l’exposition est consacrée aux esquisses des grands tableaux historiques. Relevons une œuvre peu connue, «Le Départ des étudiants allemands pour la guerre de libération de 1813 contre Napoléon», une commande de l’Université d’Iéna datant de 1907. Hodler utilise le crayon, le fusain, l’encre de Chine. Parfois il colorie ses projets. Il use aussi des collages, à l’instar de Matisse, pour placer les divers éléments de ses compositions. La présence de quelques huiles – dont un très beau portrait de son épouse Berthe Hodler – atténue le côté un peu austère de l’exposition.
On constatera la forte présence des figures féminines. Certaines, comme celles des grandes toiles symbolistes en devenir, semblent danser, flotter dans l’air: une remarque que ses contemporains faisaient déjà à Botticelli ! Il faut rappeler que Hodler a été influencé par les théories «eurythmiques» d’Emile Jaques-Dalcroze. L’autoportrait et le portrait occupent aussi une place importante dans l’exposition. Celle-ci s’achève sur la série bouleversante – où la douleur côtoie une sorte de cynisme distancié d’artiste – que Hodler a consacrée à la longue agonie de Valentine Godé-Darel, atteinte du cancer, aux traits de plus en plus émaciés, jusqu’à la vision de son corps sur son lit de mort. En bref, tout le grand Hodler des peintures est déjà là, en puissance, dans ces dessins qui ont une force considérable.
«Ferdinand Hodler. L’infini du geste», Musée Jenisch, Vevey, jusqu’au 4 octobre 2015.